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quelque largesse : elle leur abandonna à titre gratuit un local dont elle ne savait que l’aire. C’était une ancienne prison, sous laquelle passaient les égouts, prison si humide, si malsaine, que l’on avait dû renoncer à y loger les détenus. Les Petites-Sœurs furent moins difficiles que les criminels ; elles installèrent les vieillards dans la chambre la moins mauvaise, prirent l’autre pour elles et attendirent des jours meilleurs. La prison avait naturellement été disposée pour une destination pénitentiaire ; par conséquent, les portes ouvraient de l’extérieur, et il était impossible de les fermer de l’intérieur. Or on n’avait pas d’argent pour modifier les serrures, et pendant bien des nuits, pendant bien des mois, on dormit derrière des portes « poussées tout contre, » mais qui n’étaient point closes. Durant près d’une année on vécut dans cette geôle ; mais Dinan, dont les anciens seigneurs furent les aïeux de Du Guesclin, eut quelque honte d’une situation pareille et la fit cesser par l’abondance de ses aumônes. La maison que l’on put ouvrir fut outillée en vue de l’hospitalité que l’on avait à exercer.

Les personnes qui, entraînées par leur zèle religieux et illuminées par leur foi, se jettent à cœur perdu dans une bonne œuvre, sans même s’inquiéter si elles pourront réussir et qui réussissent, croient fermement que la Providence veille sur elles, les dirige, les protège et assure leur succès. On en peut sourire, mais franchement elles n’ont pas tort, car si jamais le proverbe : « Aide-toi, le ciel t’aidera » a trouvé son application, c’est dans l’institution des Petites-Sœurs des Pauvres, où tout semblerait miraculeux si l’on ne savait ce que peut produire l’élévation des sentimens servie par une volonté infatigable. La force d’une idée fixe est invincible lorsqu’elle ne vise que le bien, et dédaigne les pauvretés des conventions sociales et du respect humain. Dans l’histoire de la fondation des diverses maisons où les Petites-Sœurs des Pauvres mettent en pratique le grand principe : Aimez-vous les uns les autres, je rencontre un fait qui, mieux que tout raisonnement, fera comprendre la foi dont ces créatures exquises et simples sont animées. En 1849, l’abbé Le Pailleur était à Nantes avec la mère Marie-Thérèse (Virginie Trédaniel), première assistante de la supérieure-générale. Il s’agissait, bien entendu, d’ouvrir un asile pour les vieillards dans le chef-lieu du département de la Loire-Inférieure. Je ne sais quelles difficultés ou quelles lenteurs bureaucratiques retardaient l’autorisation que l’on avait demandée aux vicaires capitulaires pendant la vacance du siège épiscopal, dont le titulaire, M. de Hercé, était mort récemment. Le temps passait. L’abbé Le Pailleur ne pouvait attendre ; il remit 20 francs à la mère Marie-Thérèse et lui dit : « Ma chère enfant, je reviendrai dans trois mois ; je désire trouver beaucoup de vieillards autour de vous. »