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cette campagne entreprise contre les œuvres de la foi et de la charité. On a dit : « Le cléricalisme, voilà l’ennemi. » On se paie de mots, comme toutes les fois que l’ignorance gouverne. C’est là une phrase à effet, une phrase de rhéteur qui veut donner quelque pâture à la crédulité publique et qui, pour diriger l’attention loin de ses actes personnels, choisit ses adversaires et désigne à la haine des badauds les hommes auxquels il est interdit de se défendre : Pierre, remets ton glaive au fourreau ! On a triomphé ; on a vaincu des jésuites, des oblats, des dominicains ; on a conquis quelques écoles où des sœurs de charité enseignaient ténébreusement à des petites filles qu’il faut être docile, laborieux et véridique. Celui qui a prononcé ce mot néfaste est mort à l’âge de la pleine possession de soi-même et de sa maturité. Ses obsèques ont démontré comment il fallait interpréter sa parole : nul prêtre n’a prié sur sa dépouille, toutes les superstitions étaient derrière le char funèbre, mais la religion n’y était pas, car on l’en avait éloignée ; Je scandaliserai peut-être ses amis en leur disant qu’une messe perpétuelle a été immédiatement fondée pour le repos de son âme. L’intention est bonne, qu’elle soit excusée !

Le cléricalisme est-il vraiment l’ennemi ? Je suis un trop pauvre clerc pour décider la question, mais ce que j’affirme, c’est que, pour les nations comme pour l’homme, le spiritualisme, c’est la vie et que le matérialisme, c’est la mort. Donner à l’âme une existence transitoire, la réduire aux luttes, aux déceptions de la vie actuelle, la faire périr en même temps que la matière qui l’enveloppe et qu’elle illumine, lui défendre d’espérer une récompense, lui interdire de redouter un châtiment, lui promettre le néant, la rendre inférieure aux molécules du monde physique qui se transforment et ne disparaissent jamais, c’est chasser de l’homme le souffle divin et c’est le condamner à la bestialité forcée. Dieu est une hypothèse ; soit ! mais le néant aussi est une hypothèse ; qu’il me soit permis de choisir, de croire que j’emporterai au-delà du tombeau la responsabilité de ma vie et de chercher à entrevoir les clartés éternelles. Il ne faut point les éteindre ; lorsque le phare n’est pas allumé pendant la nuit, les vaisseaux font naufrage. On a mené grand bruit, je ne l’ignore pas, autour de la parole de Broussais : « J’ai disséqué bien des cerveaux et je n’y ai jamais trouvé d’âme ; » Le mot est sans portée. Broussais n’a point trouvé d’âme en disséquant des cerveaux, pas plus qu’il n’a trouvé de regard dans l’orbite des cadavres que son scalpel a interrogés. George Sand a écrit : « Je ne connais qu’une croyance et qu’un refuge : la foi en Dieu et en notre immortalité ; mon secret n’est pas neuf, il n’y a rien autre[1]. »

  1. George Sand, Correspondance, t. II, p. 22.