Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 56.djvu/516

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
V. — INVESTISSEMENT ET SIEGE DE ROCROY.

Tandis que Melo voyait défiler ses belles troupes sous les murs de Valenciennes, deux courriers partaient de son quartier-général. L’un, dirigé sur Palizeul en Luxembourg, portait à Beck l’ordre de s’approcher de la Meuse et de se rendre maître du cours de cette rivière, au-dessous de Mézières, en s’emparant de Château-Regnault[1]. L’autre allait à Namur, chargé d’instructions que le comte d’Isembourg exécuta immédiatement.

Le 10 mai, l’armée d’Alsace quitta, ses cantonnemens et se réunit à La Buissière entre Maubeuge et Thuin comme pour y passer la Sambre et rejoindre le capitaine-général sous Valenciennes. La journée du 11 fut consacrée aux préparatifs du passage. Le 12, Isembourg fit subitement une contremarche, s’éloigna de la Sambre, et prenant les devans avec sa cavalerie, passa sous Mariembourg sans s’arrêter ; cheminant toute la nuit, il arriva devant Rocroy le 13 mai à la pointe du jour. Il avait franchi dix-huit lieues en vingt-quatre heures si secrètement qu’il put enlever des ouvriers sortis à l’instant même de la place pour travailler dans les jardins. Il sut par eux que la garnison ne dépassait pas quatre cents hommes ; toutefois la place lui parut plus forte qu’il ne le supposait, protégée par des marais qui en rendent l’accès difficile, par des bois propices aux tentatives de secours. Rocroy fut immédiatement investi ; Isembourg en garda soigneusement les portes et les avenues.

Ce même jour, 13, Melo couchait à Dompierre, près d’Avesnes, et le lendemain, tandis qu’avec sa cavalerie il se montrait aux environs de La Capelle, faisant beaucoup de bruit et de fumée, comme nous l’avons vu par les rapports parvenus au duc d’Anguien, le gros de son armée marchait par Chimay sur Rocroy. Lui-même était devant cette place le 15 mai avec toutes ses forces. Il était difficile d’apporter plus de prévision dans le calcul, plus de secret, d’ensemble et de rapidité dans l’exécution ; jusqu’ici le succès était complet.

A l’extrémité sud-est de cette épaisse barrière de forêts qui a nom la Thiérache, au point où elle se soude au massif des Ardennes, là où le sol change de nature et la végétation d’aspect, où les bois rabougris succèdent aux chênes gigantesques et à la variété des

  1. Château-Regnault, sur la rive droite de la Meuse, à 15 kilomètres nord de Mézières ; chef-lieu d’une petite principauté que se disputaient de puissans voisins, pourvu d’une assez bonne forteresse, qui était alors occupée par les Français. Melo suivait une ligne d’invasion nouvelle et voulait se servir de la Meuse pour ses vivres.