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Dans toute cette guerre, le roi d’Espagne vise plus à frapper, à désarmer son ennemi qu’à lui enlever des lambeaux de territoire ; il lui prendra sa couronne, s’il le peut ; au moins il essaiera de démembrer son royaume. Philippe II, ayant manqué l’occasion en 1557, faillit réussir avec l’armée du duc de Parme. Tout autre est le jeu du roi de France : il cherche à gagner le terrain pied à pied, à prendre une place, puis une autre, à les joindre à son domaine, à faire son pré carré. Durant certaines périodes, l’Espagnol des Pays-Bas engagé au nord avec les Hollandais, ayant des insurrections à réprimer, se borne à repousser les Français, attendant l’occasion pour revenir à sa grande entreprise : la marche sur Paris.

Paris ! la victoire de Saint-Quentin semblait en avoir ouvert les portes à Philibert-Emmanuel ; la ligue en avait remis les clés à Farnèse ; les coureurs du cardinal-infant avaient poussé jusqu’à Chantilly, en 1636. La fortune de la France, l’épée de Henri IV, la ténacité de Louis XIII, avaient écarté le péril ; mais ce péril renaissait toujours, et en cette année 1642 qui venait de finir, une bataille gagnée par les Espagnols, vainqueurs aux sources de l’Escaut, leur avait ouvert le chemin libre jusqu’à Paris, s’ils n’avaient été arrêtés par une diversion de notre armée d’Allemagne.

Au commencement de 1643, l’Espagne conservait presque tout le Brabant, les Flandres, l’Artois (moins trois places), le Hainaut (moins une place) et le Luxembourg (en y comprenant Thionville). La France, outre la Picardie, la Champagne et les Trois-Évêchés, occupait le littoral reconquis jusqu’à Calais, le Boulonnois et le comté de Guines ; de ses conquêtes éphémères en Artois elle avait conservé Arras, Hesdin et Bapaume ; elle avait détaché Landrecies du Hainaut. Si l’on considère la France actuelle, on voit que le roi catholique possédait le département du Nord (moins la petite ville de Landrecies) et celui du Pas-de-Calais (moins le littoral et trois places isolées). Le gouverneur espagnol des Pays-Bas pouvait communiquer par Thionville avec les domaines et les alliés que son souverain conservait encore en Basse-Alsace et dans la vallée du Rhin ; enfin, avec les généraux et les terres de l’empereur. Il avait à se garder fortement vers le nord pour contenir « les rebelles » des Provinces-Unies, qui comprenaient le royaume actuel de Hollande. Maîtres des bouches du Rhin et de la Meuse, les confédérés pouvaient encore fermer l’Escaut ou l’ouvrir aux Anglais ; l’Espagne perdait ainsi le parti qu’elle aurait pu tirer de la possession d’Anvers et ne conservait sur la mer du Nord que les ports d’Ostende et de Dunkerque, presque toujours bloqués par les flottes hollandaises.

Telle était la situation des. belligérans quant aux territoires occupés. Examinons la situation des armées. La France avait, dans les