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le prince profita de l’absence des maréchaux de camp pour lui donner le commandement de la cavalerie qui se réunissait dans la vallée de la Somme. Quant aux troupes à cheval déjà cantonnées dans les pâturages de l’Authie, auprès de Doullens, et qui formaient l’avant-garde de l’armée, elles étaient en bonnes mains.

Gassion était connu de M. le Duc, qui avait déjà servi avec lui. Et d’ailleurs qui alors ne connaissait « le colonel Gassion, » favori de Gustave-Adolphe, distingué et protégé par Richelieu ? Homme de guerre autant qu’on peut l’être, n’ayant rien du courtisan ni de passion que pour son métier, également prompt à la repartie et à l’action, reître avec la verve d’un Gascon, on ne rencontre guère de figure plus originale. Ce huguenot, fils et frère de magistrats huguenots, avait fait ses études chez les barnabites et les jésuites ; il sortit du collège des pères pour s’engager dans les bandes du duc de Rohan, et quand les réformés de France mirent bas les armes, il alla joindre celui qu’on appelait « le boulevard de la foi protestante, » le « lion du Nord, » le grand roi de Suède. Gassion et son régiment acquirent un beau renom parmi les Suédois, et lorsqu’une partie de ceux-ci devinrent les « weymariens, » c’est comme envoyé du duc Bernard qu’il fut présenté à Louis XIII et à son ministre. Retenu aussitôt au service de France, il fut activement employé depuis 1636. En 1642, Richelieu le fit venir en Roussillon ; mais Cinq-Mars, dans une de ses reprises d’autorité, l’éloigna comme créature du cardinal et le renvoya dans le Nord, où le duc d’Anguien vient de le trouver. Depuis le 10 décembre 1641, il était mestre de camp général de la cavalerie avec autorité sur les autres maréchaux de camp. Exigeant beaucoup des troupes, toujours au premier rang, souvent blessé, indulgent aux pillards et terrible « dégatier, » comme on disait alors, il était adoré de ses soldats. Robuste, infatigable, usant force chevaux, très habile à manier ses armes, mais payant peu de mine, petit, replet, le visage osseux et presque carré, ses traits, son regard, annonçaient l’audace et la résolution plutôt que la supériorité de la pensée. Nous allons voir Gassion au pinacle, le plus actif, le plus clairvoyant des éclaireurs, le plus prompt, le plus vigoureux des officiers de bataille, réunissant ces parties si rares qui font le général de cavalerie complet. Ce n’était pas un général en chef ; on s’en aperçut quand il eut des armées à conduire ; il fut tué à temps pour sa gloire (1647)[1].

  1. Gassion rentrait de permission au moment où M. le Duc arrivait. On trouvera aux pièces une lettre que cet officier-général écrivait à Mazarin, d’Amiens, le 15 avril, et qui lui fait honneur : il rend compte au premier ministre d’une visite qu’il vient de faire à Des Noyers, pour témoigner au secrétaire d’état disgracié sa reconnaissance et sa sympathie ; de tels actes et on tel langage sont rares dans tous les temps. Il était né en 1600 ; son père était premier président de Pau et son frère intendant de Béarn. Il avait servi en 1636 sous le prince de Condé et en 1640 à côté du duc d’Anguien. — Bautru s’amusait fort de ses querelles avec le père Joseph. Comme mestre de camp général de la cavalerie légère, il avait succédé à René de Choiseul-Praslin, tué à La Marfée en 1641. Sa vie a été racontée par l’abbé de Pure.