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moment, on connaissait les résultats de la campagne qui allait s'achever, la portée des succès remportés et des revers essuyés, les positions gagnées ou perdues ; la situation politique et militaire pouvait être exactement appréciée. Les deux hommes l'étudiaient chacun à son point de vue, se comprenant à demi-mot, restant l'un et l'autre dans le rôle qu'ils s'étaient tacitement assigné, le roi parlant avec un ton de maître pour accepter les idées du ministre, le ministre dirigeant le roi avec les formes du plus profond respect et de la plus entière soumission ; celui-ci traçant le plan, celui-là réglant l'exécution.

Pour s'assurer le concours du roi, Richelieu faisait entrer dans l'ensemble de ses combinaisons une entreprise simple, mais promettant de chaudes escarmouches, que Louis XIII pourrait diriger en personne, où il lui serait loisible de satisfaire son goût pour le détail et de montrer son brillant courage, sans que la tâche fût au-dessus de ses forces : la conquête de la Franche-Comté ; l'ennemi avait là peu de troupes et le terrain était, croyait-on, bien préparé. Ce dessein avait l'avantage d'être une sorte de hors-d'œuvre, de pouvoir être détaché du plan général et abandonné « s'il donnait trop de jalousie aux Suisses, » ou si de nouvelles complications commandaient de le différer. Les troupes destinées à cette opération seraient réunies sur une position centrale, d'où il serait facile de les diriger vers le nord, le Rhin ou les Alpes, sur les lieux où pouvaient se présenter les périls à conjurer, les succès fructueux à recueillir. Tout allait bien et facilement du côté des Pyrénées : la prise de Perpignan assurait la conquête du Roussillon ; c'était donc aux armées de Picardie, d'Allemagne et d'Italie qu'il fallait surtout songer. La seconde avait besoin de puissans renforts, difficiles à trouver et à conduire ; le chef était sur place, Guébriant, le plus dévoué, le plus éprouvé, le plus habile de nos généraux. En Italie, où le commandement supérieur appartenait au prince Thomas de Savoie, un corps de troupes françaises assez considérable devait agir avec une certaine indépendance, sans échapper complètement à la direction du Savoyard. Cette mission, délicate à remplir, avait été confiée en 1642 au duc de Bouillon ; nous avons vu comment ce dernier fut compromis dans la conspiration de Cinq-Mars et arrêté au milieu de ses soldats. Il fallait là un général. Il en fallait un aussi pour l'armée de Picardie, la plus menacée, la moins heureuse, la plus essentielle de nos armées. Aucun des généraux de second ordre, instrumens plus ou moins usés, que Richelieu avait sous la main, ne pouvait convenir à de si lourds commandemens. La Meilleraie, Brézé, Châtillon avaient donné leur mesure ; le comte de Guiche venait d'être battu ; Guébriant ne pouvait être retiré d'Allemagne ; La Motte-Houdancourt avait sa place en Catalogne et y faisait bien.