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idées qu’ils se font sur les conditions du travail et sur leurs relations avec les patrons, par leurs grèves réitérées, par les règlemens qu’ils se donnent et qu’ils imposent, ils créent de véritables impossibilités et ils préparent, ils compliquent eux-mêmes une crise dont ils sont les premiers à ressentir les douloureux contre-coups. On ne va pas bien loin avec ces théories courantes qui consistent à faire la vie dure au patron, à travailler moins et à gagner davantage. Au milieu de tout cela, le travail diminue ou devient trop onéreux; la concurrence étrangère en profite pour s’introduire sur nos marchés, et la diminution s’accuse encore plus. Tout le monde en subit les conséquences; les ouvriers souffrent dans leurs moyens d’existence, les patrons sont frappés dans leurs intérêts, le pays est atteint dans sa fortune, dans sa puissance industrielle et commerçante. Chose étrange! la France, qui, jusqu’ici, dans certaines industries, avait une primauté reconnue trouve, maintenant plus que des émules, de dangereux rivaux chez les étrangers, en Italie, en Allemagne, même en Autriche. Elle n’a pas seulement à soutenir une lutte très sérieuse chez les autres, elle est menacée, tenue en échec chez elle, sur ses propres marchés. Elle a les désavantages qui tiennent à une altération croissante des conditions de travail et de salaire, à des conflits incessans, à des idées fausses qui paralysent l’activité saine et régulière. D’un autre côté, il est certain que le système qui règne depuis quelques années a sa part et une grande part dans les difficultés d’aujourd’hui. Le gouvernement, — et par là on peut entendre le parlement comme les ministères, — le gouvernement a certes contribué à tout compliquer. Par son imprévoyante administration, par ses prodigalités, par ses entreprises démesurées, il a déterminé ou précipité de brusques et dangereux déplacemens, de véritables perturbations économiques ; par sa politique tourmentée et irritante il a créé cet état d’incertitude, de malaise, de défiance dont se ressentent les affaires, où tout devient difficile sinon impossible.

La crise existe donc par toute sorte de raisons qui ne sont pas d’hier, qui ne font que s’accentuer; mais ce qui est bien clair, c’est que, s’il y a des souffrances, si la situation industrielle et commerciale est devenue grave, le remède n’est sûrement pas dans les promenades sur les places publiques, dans les manifestations tumultueuses, dans cette agitation ouvrière rivalisant avec l’agitation des politiques imprévoyans, dans cette rentrée en scène de la force aveugle des multitudes. C’est tout simplement une complication nouvelle, malheureusement assez logique dans les conditions qu’on s’est créées, et d’autant plus caractéristique que ces manifestations de la rue se produisent pour la première fois depuis nombre d’années. — « Puissions-nous ne pas le voir! » disait l’autre jour M. le président du conseil en parlant de ces descentes dans la rue. Ce qu’il aurait voulu ne pas voir, il l’a déjà vu et il le reverra encore. Cette journée du 9 mars, qui a été signalée par