Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 56.djvu/470

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

déclarait expressément : « Je n’ai ni la prétention ni le désir d’être un homme politique; » il est « un homme de bonne foi. » Mais la bonne foi, en ces matières et par ce temps-ci, ne risque-t-elle pas d’être contraire à toute foi? Déjà, en 1874, dans un discours académique, il ne parlait que sur un ton désabusé des « hommes de parti. » Lui-même se donnait pour « un des rares Français qui n’aiment pas la politique, » si « les entrepreneurs de politique. » — « C’est sans doute, disait-il, une infirmité de mon esprit; mais plus j’avance dans la vie, plus je suis tenté de ranger cette science au premier rang des sciences inexactes, entre l’alchimie et l’astrologie judiciaire. »

M. Augier n’est pas un sectaire, mais un auteur dramatique et un Français; comme tel, sensible aux mouvemens généraux de l’opinion et docile aux leçons les plus récentes des événemens. Après une profession de foi ou plutôt de scepticisme comme celle que je viens de citer, — et combien elle serait plus légitime encore aujourd’hui qu’il y a neuf ans ! — il ne pouvait lui en coûter de voiler les statues de ses anciennes espérances, sinon de les abattre; il les soupçonnait de n’être guère, au moins pour un temps, que des effigies de fantômes. Il a donc résolu de s’accorder d’avance avec l’unanimité des spectateurs. Il avait reconnu comme eux que si le mal signalé par le marquis d’Auberive et constaté par Giboyer avait empiré, le remède prôné par celui-ci était d’application chimérique : il a retranché l’ordonnance. Il a coupé franchement six pages de sa pièce, les six pages où Giboyer déroulait le programme de ses illusions. Et comme en pareil cas, ce n’est pas tout de couper avec franchise, mais qu’il faut recoudre avec esprit, il l’a fait, n’ayez crainte! Selon la version nouvelle, après que le marquis d’Auberive et Giboyer se sont consultés et mis d’accord sur la maladie, quand le marquis interroge le socialiste sur les moyens de guérison : « Oh ! répond Giboyer en secouant la tête, ne parlons pas de cela ! c’était bon il y a vingt ans ! » Entendez, de grâce, en 1861, quoique la comédie représentée à cette date soit toujours réputée se passer vingt ans plus tôt; nous n’en sommes pas à chicaner sur ce genre de fiction, et le plus maussade confessera que l’auteur, après nos mécomptes publics, ne pouvait se tirer avec plus de belle humeur du péché d’utopie.

Ainsi arrive-t-il que personne aujourd’hui ne soit plus gêné pour admirer cette comédie de mœurs, ni par une opinion plus indulgente que celle de l’auteur au malade qu’il étudie, ni par une opinion différente sur le traitement qui conviendrait. D’ailleurs, si le type de Giboyer, grandi depuis vingt ans et devenu légendaire presque à l’égal d’un Figaro, est diminué par ces changemens, ce n’est peut-être pas un mal pour cette peinture dont il faisait éclater le cadre et pour ce drame dont il embarrassait la marche. Était-il bon que le pamphlet se gonflât aux dépens de la comédie? Non sans doute; il risquait de la