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ceux qui se maintiennent, où les gentilshommes et les bourgeois, à de certains jours, à de certaines heures, en de certains lieux de loisir, de dépense, de plaisir ou d’ennui, font également figure de gentlemen; c’est dans ce monde où M. Poirier avait pu rencontrer le marquis de Presles : c’est dans ce monde-là que le marquis d’Auberive devait connaître Charrier et introduire Vernouillet. C’est dans ce monde-là, comme dans un sol où divers élémens se combinent et fermentent, que le rameau d’or poussait ses plus belles feuilles et portait ses plus beaux fruits; aussi bien est-ce dans ce monde et par les mêmes raisons que M. Augier avait mis et devait mettre toutes ses grandes comédies modernes, sauf les Lionnes pauvres, qu’il a placées à dessein dans un monde plus humble, — il s’est expliqué là-dessus, — et Maître Guérin, qui, pour une part au moins, est une étude de la vie de province. Mais à nulle autre de ses créations un tel milieu ne convenait aussi proprement qu’aux Effrontés; dans nul autre de ses ouvrages il n’a étudié d’une manière aussi spéciale ce pouvoir nouveau de l’argent : avec quelle clairvoyance et quelle prévoyance il l’a fait, nous le savons aujourd’hui.

Qui doute à présent que la méthode d’effronterie professée par le marquis d’Auberive ne soit la bonne pour pénétrer dans un tel monde? On l’a vue triompher par assez d’exemples. Il fallait cependant qu’un observateur en découvrît la formule; M. Augier a eu cette gloire. D’autres voyaient peut-être les intrus dans la place : il a trouvé le premier comment ils avaient fait brèche. Il a trouvé aussi comment les défenses de la place étaient ruinées d’avance; il l’a dit en bon langage, et c’est la matière du commentaire politique dont le marquis d’Auberive et Giboyer accompagnent cette comédie de mœurs, ou du moins c’est une partie de ce commentaire, « Ce qui m’amuse dans votre admirable révolution, dit le marquis d’Auberive à Charrier, c’est qu’elle ne s’est pas aperçue qu’en abattant la noblesse, elle abattait la seule chose qui pût primer la richesse. Vous avez remplacé aristocratie par ploutocratie... » Giboyer ne le nie pas, il va même plus loin : « Deux et deux font quatre : le règne de l’arithmétique est arrivé, comme il arrivera dans tous les pays où il n’y a rien au-dessus du capital... » Et comme Vernouillet lui oppose l’éternelle brutalité de ce fait : « L’argent a une puissance intrinsèque; il est roi par la force des choses, » il se récrie, le philosophe, et réplique non sans noblesse : « Voilà justement pourquoi il faut le combattre : la civilisation, c’est la victoire de l’homme sur la force des choses... En sorte que l’ancien régime était plus près de la civilisation que l’autre, parce qu’il avait au moins une chimère à mettre au-dessus de la richesse. » Légitimiste et socialiste s’accordent à condamner le régime présent, et par des motifs pareils; l’un et l’autre déclarent la société malade et désignent la même cause du mal. Quoi de surprenant? L’un et l’autre