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de Giboyer, dans Lions et Renards et jusque dans Jean de Thommeray, il se mêle d’une façon efficace à l’action. Mais où son personnage est capital, c’est dans Ceinture dorée, les Effrontés, Maître Guérin, la Contagion. Assurément d’autres ont pris garde à cette fortune récente de l’argent. Ni l’auteur des Faux Bonshommes, ni l’auteur de la Famille Benoîton et de Maison neuve ne l’a méconnue ; après l’Honneur et l’Argent, Ponsard a donné la Bourse. Mais, un des premiers, M. Augier, avait discerné la mine à exploiter : la Pierre de touche est de 1853, comme l’Honneur et l’Argent; et si l’on néglige cette comédie, qu’un air de fantaisie peut faire récuser, au moins faut-il noter que Ceinture dorée, la première pièce en prose où le problème s’agite, devenu ainsi plus proche de nous, Ceinture dorée paraît en 1855, un an avant la Bourse, deux ans avant la Question d’argent, trois avant les Pièges dorés. Cette dernière pièce n’eut guère moins de vogue que les autres ; l’auteur, M. de Beauplan, me saura gré de la rappeler : je la cite pour montrer comment, à cette époque, les coups de pioche se pressaient sur cette même mine. Chacun se mêlait de donner le sien. M. Augier avait frappé le premier; après six ans il le redoubla. Ce dernier coup fut un coup de maître, et ce fut les Effrontés.

Apparemment ce n’était pas sans raison que tant de travailleurs creusaient à la même place, et l’un sur les talons de l’autre : il fallait, pour que tout le monde parlât d’argent, que l’argent eût pris une importance nouvelle; mais comment? Ainsi que plusieurs l’avaient déjà dit, l’argent est toujours l’argent, et dans tous les temps comme dans toutes les bourses; s’il avait acquis plus de valeur, c’est que d’autres puissances s’étaient dépréciées : lesquelles et par quels accidens? Cette valeur acquise, l’argent devait la manifester par des moyens nouveaux ; mais par lesquels? c’est encore de quoi il était curieux de s’informer. Ainsi, d’une part, il fallait reconnaître l’affaiblissement des pouvoirs vaincus ; et, d’autre part, les manifestations de la force nouvelle du vainqueur. Si, d’ailleurs, de son premier coup, dans Ceinture dorée, M. Augier avait découvert le filon, c’est qu’il avait pris soin, dans le Gendre de M. Poirier, de choisir excellemment son terrain. Il n’eut garde de le quitter.

Ce n’est pas en effet dans le monde proprement aristocratique, lequel s’est à peu près retiré de l’action, ni dans le monde modeste des salariés de tous ordres, des juges, des professeurs, des ingénieurs ou des soldats; ce n’est pas non plus dans le monde des gens de lettres et des artistes, ni des petits commerçans ou des petits industriels, que réside et que vit la majesté de l’argent. C’est dans ce monde sans frontières qui se nomme lui-même le monde et que les autres acceptent pour tel, sans épithète qu’on puisse lui contester ou lui envier; c’est dans ce monde où, s’il ne suffit pas d’être riche, il est nécessaire de le paraître; c’est dans ce monde où les parvenus et ceux qui parviennent se frottent à