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procédé des croisemens. Mais les résultats ainsi obtenus sont d’autant plus irréguliers, incertains et défectueux, que les alliances s’opèrent entre des races plus différentes de formes et de qualités. Si le père est d’un tempérament énergique et la mère de lymphatique nature, l’âme paternelle aura vite usé dans le produit une constitution indigne d’elle. Que les parens soient de types trop distincts; par exemple, que l’un appartienne à la race asiatique si gracieuse dans ses lignes, si parfaite dans ses organes, et l’autre à la race germanique caractérisée par sa poitrine comprimée et ses membres grêles pour la grosseur du coffre, le métis manquera le plus souvent d’harmonie dans les formes, de puissance dans ses actions. La nature a une grande force de stabilité, qui tend à la conservation des races, pour ne céder que lentement à leur complète fusion. C’est de mauvaise grâce qu’elle se prête à la tentative d’améliorer les défauts de l’une par les qualités de l’autre. A la vérité, elle les mélange dans telle combinaison imprévue qui déroute le plus souvent nos prévisions.

Soumises à ces croisemens, les races perdent toute leur ancienne homogénéité; c’est ce qui arrive pour la race anglo-normande, dans laquelle un certain nombre de chevaux élégans et vaillans ne saurait faire oublier la quantité infiniment plus considérable de produits mal bâtis, sans beauté ni solidité. Les résultats sont encore plus mauvais, quand les animaux issus du croisement reçoivent une alimentation ou des soins d’entretien tout à fait insuffisans pour leur exigeante constitution. Quinteux et rétifs, leur énergie s’irrite de l’impuissance à laquelle ils sont réduits par leur trop chétive organisation. C’est la révolte intérieure des nobles natures, dégradées par la misère.

Tel a été le résultat obtenu par l’introduction du pur sang anglais dans les races du midi de la France. Elles ont perdu leurs qualités natives, la sobriété, la docilité, la solidité, toutes vertus donnant une grande résistance à la fatigue.

A la suite de bien des mécomptes, il s’est produit en France une réaction très vive contre cet emploi souvent intempestif du pur sang anglais. De là les très sévères critiques adressées à l’administration des haras, qui a toujours été plus ou moins sous la tutelle des éleveurs de chevaux de course, constitués en société hippique. C’est le jockey-club, dans lequel les recherches de la vie élégante sont loin de faire négliger les gains réalisés par la vente à chers deniers des coureurs d’hippodrome, même les plus médiocres.

Après avoir cédé d’une façon irréfléchie à l’engoûment des croisemens, les éleveurs cherchent maintenant à reconstituer leurs vieilles races et à reprendre l’œuvre du progrès par la sélection.