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Si les fécondes vallées de l’Altaï ont été le premier point de départ du cheval oriental, c’est ensuite de la Syrie qu’il nous est venu, alors qu’un nouveau flot humain a débordé de l’Asie sur l’Europe. Appelé désormais cheval arabe, il devient l’agent essentiel des conquêtes musulmanes. Turcs, Maures et Sarrasins ont graduellement disparu des pays qu’ils avaient tant de fois ensanglantés et ravagés ; mais leur souvenir est resté par les fins coursiers et les belles cavales qui ont fait souche dans les contrées envahies. En même temps, un généreux élan portait les chrétiens vers Jérusalem. Or il ne fut si pauvre chevalier qui ne tînt à honneur de ramener quelque bel étalon de Palestine. Par ces causes diverses, la race asiatique a peuplé tout le continent, depuis son foyer jusqu’aux confins de l’Europe, se mélangeant aux races indigènes, avec une grande puissance d’absorption, mais perdant en force et en beauté à mesure que le climat devient moins propice, l’alimentation moins substantielle, et moindre aussi la sollicitude de l’homme.

Vers le Nord-Ouest, la race orientale s’est répandue dans l’immense empire de Russie ; elle y forme le fond d’une population chevaline évaluée à plus de vingt millions de bêtes. Sur une aussi immense étendue, comportant des conditions si diverses de sol et de climat, depuis le cap Sacré s’avançant dans les mers du pôle, jusqu’à la Géorgie caucasienne s’épanouissant sous le ciel du Midi, la race chevaline affecte des types également différens. C’est le cheval mongol, si utile pour l’exploitation des mines et le transport de leurs produits à travers les fangeux marais de Sibérie ; puis le cheval kirghise, partageant dans les plaines du Turkestan la vie nomade de son maître, pasteur et brigand, c’est-à-dire toujours en selle ; puis encore le cheval du Don, monture ordinaire du cavalier cosaque.

Élevés à l’état sauvage, exposés à toutes les rigueurs d’un climat alternativement torride et glacial, réduits souvent pour toute nourriture à la simple mousse qu’il faut du sabot déterrer sous la neige, ces chevaux russes ont pour premier entraînement les courses affolées à travers la steppe, sous la poursuite des bêtes fauves, heureux souvent de trouver leur salut dans un grand fleuve qu’ils traversent à la nage[1]. On comprend quelle sobriété et quelle endurance ces animaux acquièrent dans un pareil élevage.

Des plaines russes, la race orientale a remonté le Danube ; elle s’est établie en Hongrie, où elle a produit une nombreuse et vaillante

  1. Presque perdue dans les races chevalines les plus modifiées par la domestication, cette aptitude à la nage devait être évidemment très développée chez les animaux des temps primitifs. N’en reste-t-il point quelque chose dans les légendes de chevaux marins ?