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elles se dénouent. Les mêmes gens qui reprochent à un député ou à un électeur d’avoir sacrifié ses convictions personnelles à ses engagemens de parti et à la discipline qu’ils lui imposent, seront souvent les premiers à lui faire un crime de n’avoir pas su se résigner à un tel sacrifice pour prévenir une crise ou pour en empêcher le dénoûment au profit d’un parti extrême. N’est-ce pas, en effet, manquer de sagesse et obéir à d’aveugles scrupules que de préférer la politique inflexible et fanatique des principes absolus et du « tout ou rien » aux concessions et aux compromis que commande souvent l’intérêt public?


IV.

Nous revenons ici aux questions soulevées par le manifeste libéral de M. Jules Simon et nous saisissons ce qu’elles ont de particulièrement délicat pour le bon sens politique et pour la conscience. M. Jules Simon est un esprit trop conciliant et trop modéré, il a trop le sentiment des nuances pour pratiquer et pour recommander une politique « intransigeante. » Il se déclare lui-même « très partisan de la discipline quand elle est nécessaire. » Il se prononce avec force contre l’abstention électorale ou parlementaire, et il y voit presque un crime. Or l’abstention n’est pas toujours l’effet de l’indifférence ou de la lâcheté; elle peut être dictée par des scrupules très respectables. Un esprit honnête et consciencieux se décide difficilement à choisir entre des candidats dont aucun ne se rapproche de ses opinions, ou entre des résolutions contraires dont les inconvéniens lui sont également manifestes. Le devoir bien entendu est de surmonter les plus légitimes répugnances de la conscience elle-même et de prendre résolument un parti, sinon par la considération du mieux, du moins par la crainte du pire. Conservateur, on devra quelquefois voter pour un radical, afin d’écarter un plus radical. Républicain, on servira l’intérêt même de la république en votant pour un monarchiste de préférence à un partisan franc ou déguisé de la commune. Libéral, il est des temps de crise où l’on devra repousser, comme dangereuse, une loi de liberté dont on a toute sa vie réclamé l’adoption. Il y a une casuistique en politique comme en morale, et si elle peut couvrir quelquefois de honteuses capitulations, elle peut aussi commander, avec l’autorité d’un devoir, des sacrifices d’opinion ou, en d’autres termes, des concessions et des transactions.

J’entends souvent répéter: « On se perd par les concessions; il n’y faut jamais consentir. » Il y a toujours un sous-entendu dans ces affirmations absolues. Les concessions que l’on condamne sont celles qui sont faites à nos adversaires, non celles qui nous seraient