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lesquelles, dans d’autres pays, les partis se divisent et se classent. Nous attachons plus d’importance aux noms de républicains, de légitimistes, de bonapartistes, d’orléanistes, qu’aux noms de libéraux et de conservateurs, et ceux qui se contentent de prendre ces derniers noms, sans alarmer une foi absolue dans la bonté intrinsèque de telle ou telle forme de gouvernement, passent aisément pour des hommes sans conviction ou sans sincérité. La question de monarchie et de république et, parmi les monarchistes, les compétitions dynastiques, ne jouent cependant, malgré l’intérêt légitime qui s’y attache, qu’un rôle indirect dans la vie politique de la nation et dans les débats de ses représentans. Elles ont toujours été tranchées par des révolutions. Une seule assemblée politique en a été régulièrement saisie et elle ne s’est appliquée qu’à les éluder : c’est l’assemblée nationale de 1871[1]. Elle n’a jamais voulu mettre en délibération le rétablissement de la monarchie, qu’appelaient hautement les vœux d’une grande partie de ses membres, et lorsqu’elle s’est résignée, après de longs atermoiemens, à voter une constitution républicaine, elle a tout fait pour masquer le caractère définitif de cet acte d’abnégation patriotique. Sauf cette unique exception dans notre histoire contemporaine, les débats parlementaires ont toujours porté, non sur la forme, mais sur la politique du gouvernement, sur les principes ou les règles qu’il devait suivre dans les affaires intérieures ou dans les relations internationales, sur la part plus ou moins large qu’il devait faire aux intérêts de l’ordre ou à ceux de la liberté, à l’esprit de conservation ou à l’esprit de progrès. Ce qui est en jeu, dans toutes ce« questions, c’est la politique libérale ou la politique conservatrice, telles qu’on les entend partout, avec les diverses nuances qui séparent, de chaque côté, les extrêmes des modérés. L’attachement ou l’antipathie pour le gouvernement établi n’est qu’un élément perturbateur dans la discussion des questions politiques; mais, quoique indirect et souvent dissimulé, le rôle de cet élément perturbateur n’est pas moins considérable[2]. Il altère la rectitude du jugement et de la conduite. Il entraîne les partis à des actes systématiques d’approbation ou d’opposition, en désaccord avec leurs tendances naturelles. Les plus zélés serviteurs du despotisme impérial deviennent sous les Bourbons

  1. Ni la chambre des députés en 1830, ni l’assemblée constituante en 1848 n’ont mis en discussion la forme du gouvernement; elles n’ont fait qu’acclamer la révolution accomplie.
  2. Dans les pays où la question de la forme du gouvernement est définitivement résolue, il y a aussi, pour d’autres causes, un élément perturbateur dont le rôle est analogue à celui de nos partis anticonstitutionnels. Telle est la question irlandaise dans le Royaume-Uni, la question catholique dans l’empire d’Allemagne, la question slave dans l’Autriche-Hongrie.