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C’est cependant, chez les natures les mieux équilibrées, l’âge le meilleur, le plus propice aux initiatives fécondes. Si on se défie de lui tant qu’il n’a pas fait ses preuves et si on rit de lui quand il ne sait pas être lui-même, il obtient aisément la sympathie et l’estime quand il apporte dans la science, dans l’industrie, dans les affaires publiques, les heureux fruits d’une réflexion déjà mûre et d’une hardiesse de conception qui reste encore intacte. De même, le centre gauche, unissant les qualités de l’esprit conservateur et de l’esprit libéral, semble réaliser l’idéal de la politique. Il a pu exercer, dans plus d’une grande crise, une utile influence et mériter, par d’incontestables services, les témoignages les moins suspects de reconnaissance et de confiance; mais l’accord des deux esprits n’est ni moins difficile ni moins rare que celui de la jeunesse et de l’âge mûr; il n’est pas moins exposé à prendre une apparence équivoque; il est en butte aux mêmes railleries, et il éveille le plus souvent de semblables défiances.

Entre les conservateurs et les libéraux, le rôle d’un parti intermédiaire est généralement ingrat. Non-seulement il a contre lui les partis extrêmes, mais il est suspect aux esprits plus tempérés de la droite et de la gauche pure, qu’il tend à retenir sur la pente du cléricalisme ou du radicalisme. Un membre de la gauche, dans la dernière chambre des députés, comparait son parti à un homme dans une baignoire qui recevrait tour à tour, par les soins de mains étrangères, un afflux d’eau chaude et un afflux d’eau froide. La gauche ne nie pas l’utilité de ces deux afflux, mais elle prétend les diriger elle-même, et elle ne se défie pas moins du centre gauche, qui voudrait refroidir son bain, que de l’extrême gauche, qui se charge de le réchauffer. Ni la gauche ni la droite ne goûtent volontiers la prudence des centres. La gauche surtout, plus remuante, plus impatiente de tout frein, en un mot d’un esprit plus jeune, suivant la théorie de Bluntschli, regimbe aisément contre les conseils de ses alliés du centre gauche. On a sans doute en maintes occasions flatté le centre gauche; on a exalté son patriotisme et sa sagesse; mais il aurait eu tort de se laisser prendre à ces éloges : si on l’en accablait, c’était moins pour se soumettre à sa direction que dans l’espoir de l’entraîner plus loin qu’il ne voulait, et, s’il résistait, les injures succédaient vite aux flatteries.

Aux difficultés qui lui viennent de ses alliés s’ajoutent celles qu’il rencontre dans son propre sein. La modération n’a pas un point fixe où puissent s’arrêter tous ceux qui en reconnaissent la nécessité. Le centre gauche est de tous les partis celui dont les membres se prêtent le moins à une politique commune. Sur toutes les questions délicates où, livré à lui-même, il craindrait de s’engager, il finit, non sans beaucoup d’hésitations, par se partager en trois