Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 56.djvu/420

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et de réconciliations qui troublent sans cesse la paix de certains ménages sans aboutir à une séparation définitive ? M. Jules Simon ne s’est pas posé le problème. Il a cru nous avertir suffisamment des dangers qui nous menacent en nous les exposant de la façon la plus saisissante, sans en chercher l’explication philosophique. On nous permettra de tenter cette explication. Il ne s’agit pas seulement d’un curieux problème de psychologie politique : peu de questions ont plus d’intérêt pour l’avenir des institutions libérales dans notre pays. Le centre gauche, malgré ses échecs, a joué un rôle considérable et, ses adversaires en conviennent, un rôle utile dans l’établissement et dans le fonctionnement de ces institutions. Nous dirions même, quant à nous, qu’elles ont été constamment associées à sa grandeur et à sa décadence. Tous ceux qui leur sont attachés et qui ne veulent pas en désespérer ont donc intérêt à rechercher comment les efforts du centre gauche ont été sans cesse contrariés, soit par sa faute ou par celle du pays, soit par l’effet des circonstances et par la force des choses.


II.

Dans une brillante étude sur les partis, publiée à part en 1869 et insérée plus tard dans son traité de la Politique considérée comme science[1], M. Bluntschli compare les partis aux âges de la vie. À l’enfance correspondrait le parti radical ; à la jeunesse, le parti libéral ; à l’âge mûr, le parti. conservateur ; à la vieillesse, le parti absolutiste et ultramontain. Non pas que tous les radicaux soient des enfans et tous les ultramontains des vieillards ; mais tout radical, quel que soit son âge, garde un esprit puéril, et le l’auteur imberbe de doctrines ultramontaines a déjà un esprit vieillot : seuls, les libéraux et les conservateurs de tout âge ont des âmes viriles, les unes plus hardies, plus accessibles aux généreux entraînemens, comme il convient à la jeunesse, les autres plus réfléchies et plus circonspectes, comme dans la maturité. Si l’on adopte cette théorie, le centre gauche se placerait entre la jeunesse et l’âge mûr. Ce serait l’âge ingrat d’une comédie contemporaine : une jeunesse qui finit ou une maturité qui commence, période indécise et qui prête souvent au ridicule, soit qu’on affecte dans son langage, dans ses jugemens, dans ses actes, une gravité qui ne paraît pas encore de saison, soit qu’on ne sache pas se départir d’une vivacité juvénile qui ne trouve plus la même indulgence.

  1. Politik als Wissenschaft. C’est la troisième partie de la Théorie de l’état moderne. Lehre vom modernen Staat. Cette troisième partie, comme la première, la Théorie générale de l’état, a été traduite en français par M. de Riedmatten.