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de nouvelles et plus ardentes exigences. Les questions ajournées s’aggravent avec les délais. Ce sont bientôt des questions « pourries, » comme on l’a dit de celle de l’amnistie, et l’on invoque la sagesse politique pour s’en débarrasser par des solutions radicales. Les exigences du radicalisme s’imposent aux pouvoirs publics; elles s’imposent également à toutes les administrations. Rien de plus précaire que la situation des fonctionnaires de tout ordre, s’ils sont suspects de relations monarchiques ou cléricales; rien de plus fort s’ils se sont assuré un patronage radical. En vain ont-ils encouru des peines disciplinaires pour de graves manquemens à leurs devoirs : des comités radicaux somment un député radical de prendre leur défense ; le député somme à son tour le ministre de les respecter, et si le ministre a le courage de ne pas céder, il ne croira pas pouvoir moins faire que de s’excuser de sa sévérité et de promettre une large indulgence.

D’honnêtes esprits affectent de croire que « la conquête radicale » s’arrête aux régions officielles et qu’elle ne s’étend pas à la masse laborieuse et paisible de la nation elle-même. Les faits démentent cette illusion. Chaque élection, soit pour le sénat, soit pour la chambre des députés, soit pour les conseils-généraux ou les conseils municipaux, est presque partout, en même temps qu’une victoire pour la république, un recul des opinions plus ou moins modérées au profit d’opinions plus avancées. Un optimisme complaisant explique ce mouvement en avant par le grand nombre des abstentions. On prouve ainsi le découragement, non le besoin de la résistance. S’il n’y avait eu, en 1870 et 1871, que de faibles efforts pour s’opposer à l’invasion, le fait de l’invasion serait-il moins certain? « Ah! si le Midi se levait! » disaient quelques méridionaux : le Midi ne s’est pas levé et la moitié de la France a été occupée par l’ennemi, et deux provinces ont été détachées du territoire national!

Un événement récent, dont M. Jules Simon s’est abstenu de parler, est la démonstration la plus éloquente du chemin parcouru en quelques années. Un grand orateur, qui était naguère la personnification du radicalisme, vient de disparaître comblé d’honneurs et d’éloges enthousiastes, auxquels les plus modérés se sont associés presque sans réserve, et, dans le même temps, poursuivi jusque sur son lit de mort et dans sa tombe à peine fermée par les outrages des nouveaux radicaux. Reportons-nous à quelques années en arrière. Il n’est pas de nom plus impopulaire, sauf parmi les enragés de la «guerre à outrance. » Les élections du 8 février 1871 se sont faites surtout contre lui. Quand il rentre dans l’assemblée nationale, après les élections du 2 juillet, ce n’est pas le centre gauche, c’est la gauche qui, non-seulement ne l’accepte pas pour chef, mais refuse