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où en était venue en 1794, pour une première déviation des principes de liberté, la France libérale de 1789.

On aurait eu peine à trouver un centre gauche dans l’assemblée législative : les anciens constitutionnels en formaient la droite. S’il y a un centre gauche dans la convention, il s’appelle la plaine, quand il ne s’appelle pas le marais. Sous ces deux dénominations, qui sont restées des termes de mépris, se cachaient cependant les hommes les plus sensés et les plus utiles de la terrible assemblée. Plusieurs n’étaient pas sans courage, et l’un d’eux, Boissy d’Anglas, a eu son jour d’héroïsme. Il faut aussi mettre à part, avec M. Jules Simon, l’évêque Grégoire, qui sut se défendre à la fois de toutes les violences et de toutes les lâchetés et qui, à la convention comme à la constituante, maintint et fit respecter ses convictions religieuses et son caractère de prêtre. Toutefois, les plus sages et les plus courageux parmi les modérés protestent par leur silence et par leur attitude plutôt que par leurs actes contre les excès qui se commettent autour d’eux. Leur influence ne se fait sentir qu’au lendemain de la terreur. Ils ont le premier rôle après le 9 thermidor et ils le conservent dans les deux conseils, sous le directoire. Toutes les œuvres durables de la première république leur appartiennent ; mais leur influence est nulle ou effacée dans les crises politiques où se jouent les destinées de la nation. Le pays n’a jamais senti directement leur action et à peine connaissait-il leur nom. C’étaient des législateurs avisés et des administrateurs habiles : ce n’étaient pas des hommes d’état. La plupart applaudirent au 18 brumaire et trouvèrent leur véritable place dans les nouvelles institutions qu’inaugura le coup d’état, sous l’autorité d’un maître. Ceux qui survécurent à l’empire sentirent cependant, sous la monarchie constitutionnelle, se réveiller leurs vieux sentimens libéraux. Unis à quelques royalistes éclairés et à quelques hommes nouveaux, ils formèrent ce centre gauche de la restauration, dont le rôle fut si brillant et si éphémère, il sut renverser le ministère Villèle et il ne sut pas soutenir le ministère Martignac. Il s’associa à la résistance contre le ministère Polignac, mais il ne sut pas la maintenir dans les voies légales. Il ne sut pas non plus se défendre de cet esprit d’intolérance religieuse qui avait égaré les libéraux de la constituante et qui n’était qu’un retour à certaines traditions de l’ancien régime. Il applaudit à la campagne d’un vieux royaliste, le comte de Montlosier, contre les jésuites et le parti prêtre : campagne justifiée à plus d’un titre par des prétentions excessives, qu’encourageait la faveur de la cour; mais contre l’esprit d’intolérance et de domination dont on accusait avec raison les meneurs du clergé, on ne sut invoquer que des mesures de persécution et d’oppression.