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pu être vrai, il faut avouer que les événemens n’ont jamais cessé de lui infliger de cruels démentis. Il y avait déjà, sinon de nom, du moins de fait, un centre gauche en 1789 : c’étaient ces esprits tempérés, sagement libéraux, qui avaient épousé franchement et sans arrière-pensée la cause de la révolution, mais qui répugnaient à la suivre dans ses excès. Ils sont les héros de la première heure ; tout se fait par leurs conseils et leur popularité est immense; mais quelques mois se sont à peine écoulés qu’ils se sentent dépassés dans l’assemblée nationale et dans le pays. Plusieurs se découragent et quelques-uns émigrent; ceux qui restent et qui ont la force de ne pas trahir leurs convictions n’ont plus aucun rôle, et la foule n’a pour eux que des malédictions. D’autres suivent le torrent, et ils ne s’arrêteront plus. Tel cet évêque Gobel qui, d’abord, s’oppose avec énergie à la constitution civile du clergé, puis se résigne, non-seulement à l’accepter, mais à en bénéficier en se faisant nommer archevêque de Paris, et, après être devenu membre de la convention et en avoir partagé tous les excès, finit par une renonciation publique à sa foi de chrétien et à son titre épiscopal, sans réussir, par tant de lâcheté, à se sauver de l’échafaud. Il faut lire, dans le livre de M. Jules Simon, le récit de cette série d’erreurs et de faiblesses qui, d’une première atteinte à la liberté religieuse, inspirée par des intentions parfaitement avouables, ont conduit en peu d’années aux plus horribles persécutions. L’assemblée constituante, en très grande majorité, professait un respect sincère pour la foi catholique et croyait même lui rester fidèle ; elle ne voulait que soustraire le clergé national aux influences ultramontaines et l’associer à l’œuvre de la révolution sans toucher aux dogmes mêmes de l’église. Les promoteurs de la constitution civile étaient des chrétiens convaincus, presque des théologiens, versés dans toutes les subtilités du droit canon. On sait quel fut le résultat immédiat de cette tentative pour fonder à jamais, comme on disait déjà, « l’unité morale de la France : » la division du clergé et de la France elle-même en deux camps, animés des passions les plus violentes ; l’irritation croissante de la foule contre les prêtres insermentés, désignés à ses colères comme les ennemis implacables des nouvelles institutions ; le clergé constitutionnel, objet de mépris dès l’origine pour beaucoup de ses partisans, voué bientôt aux mêmes haines que le clergé réfractaire; la proscription sous toutes ses formes, pour cause d’attachement à l’ancien culte et à la foi séculaire du pays; l’athéisme d’Hébert et de Chaumette, acclamé un instant, avec la complicité de plus d’un transfuge du clergé séculier ou régulier, et enfin l’Etre suprême de Robespierre s’imposant à la nation éperdue comme un commencement de réaction. Voilà