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conscience en remontant dans sa chaire sous le régime du coup d’état. Ce n’est pas moi qui lui en ferai un crime et qui y verrai une diminution de son acte de courage; mais ce n’est pas faire injure à une mémoire universellement et justement respectée que d’admirer un courage plus haut chez cet autre professeur, non de droit, mais de philosophie, qui, le premier jour, invoque dans sa chaire la justice éternelle contre le triomphe de la force et, le lendemain, renonce par un refus de serment à une carrière où des succès toujours grandissans lui promettaient un magnifique avenir. M. Jules Simon ne donnait pas une moins grande preuve de courage lorsque, vingt ans plus tard, à l’heure la plus douloureuse de notre histoire, il intervenait seul, au nom du gouvernement légal et du salut de la patrie, près d’un dictateur tout-puissant, enflammé jusqu’à la fureur, suivant le mot de M. Thiers, par un patriotisme mal entendu, et disposant à la fois d’une armée créée par lui et des masses populaires toutes remplies de son enthousiasme fanatique. Et, à l’heure actuelle, faut-il un moindre courage pour braver, par fidélité aux principes de toute une vie de philosophe et d’homme politique, les accusations de trahison, d’ambition éhontée, de connivence avec d’anciens adversaires, et, pour supporter sans faiblir, non-seulement la perte d’une popularité dignement conquise, mais, ce qui est la plus cruelle blessure, l’abandon d’anciens et chers amis? Si de tels exemples avaient été plus fréquens dans le parti libéral, s’il ne s’était pas constamment affaibli par ses concessions aux partis extrêmes, il n’aurait pas vu les plus déplorables avortemens succéder sans cesse à ses plus éclatans triomphes.

Nous nous proposons de retracer, d’après M. Jules Simon, l’histoire de ces triomphes et de ces avortemens et d’essayer d’en tirer la leçon. Nous ne nous renfermerons pas toutefois dans le cadre plus restreint de son livre. Sauf dans le dernier chapitre, où il fait le « bilan » des fautes et des périls du temps présent, il s’est surtout attaché aux questions de liberté d’enseignement et de liberté religieuse, qui ont réduit le centre gauche libéral à ce petit groupe de trente ou quarante membres des deux chambres, que l’on flétrit du nom de « dissidens. » Nous embrasserons dans cette étude les principales questions qui, depuis 1789 jusqu’à nos jours, ont tour à tour réuni dans de généreux et féconds efforts et divisé, par l’effet de funestes entraînemens, ceux qui se sont honorés du double titre de modérés et de libéraux.


I.

On a dit, il y a longtemps, et on se plaisait encore à répéter, il y a très peu d’années : « La France est centre gauche. » Si le mot a