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l’esprit de conciliation, l’éloignement pour toute passion de sectaire, pour toute exagération dans le langage et toute violence dans les actes, en un mot, ce juste sentiment des nuances et ce respect de tous les intérêts légitimes où se reconnaît une politique honnête et sensée. Il est l’homme des transactions nécessaires, et nul ne sait mieux les faire accepter par cette éloquence insinuante, faite de souplesse et de grâce, qui a le don si rare de trouver les argumens et les accens les plus propres à convaincre des adversaires, plutôt que les mouvemens oratoires destinés à soulever les applaudissemens d’une foule convaincue d’avance. Il n’a point l’infatuation de l’infaillibilité : il sait reconnaître franchement et de bonne grâce ses erreurs passées, par exemple cette injuste défiance pour les armées permanentes, qu’il partageait avec la plupart des libéraux avant les leçons de la défaite; mais il est aussi, quand il le faut, l’homme des fermes convictions, fidèlement et courageusement soutenues contre tous les entraînemens et toutes les défaillances. Le défenseur inébranlable de la liberté d’enseignement en 1879 était, trente ans auparavant, le rapporteur du premier et du seul projet de loi qui donnât à la liberté d’enseignement toutes ses garanties, sans rien sacrifier des droits essentiels de l’état. L’orateur qui a lutté avec tant d’énergie, en 1881, pour le maintien du nom de Dieu dans les lois scolaires, applaudissait, en 1848, à l’introduction du nom de Dieu dans la constitution républicaine[1]. Et chez M. Jules Simon, — il n’est pas hors de propos de le rappeler en face de tant de calomnies si facilement accueillies par les esprits légers ou prévenus, — le courage a toujours été égal à la fermeté des convictions. On glorifie à juste titre le trait de ce député qui vint réclamer son incarcération après le coup d’état du 2 décembre, en sa double qualité de représentant du peuple et de professeur de droit. L’ancien membre d’une assemblée dispersée par la force, le professeur de droit qui avait protesté si noblement au nom de la légalité violée, ne se crut pas cependant coupable d’une capitulation de

  1. « Voilà une constitution qui relève de la vérité philosophique et qui l’avoue. On ne nous parlera plus désormais de religion d’état : c’est quelque chose pour la liberté; on ne nous parlera plus d’état athée : c’est immense pour la morale. Cette invocation du nom de Dieu me manquait quand je lisais nos deux chartes, quand je parcourais nos codes. Glace à Dieu, la voilà! Il me semble entendre une prière prononcée par la voix de tout un peuple. Lorsque, dans un avenir prochain, on fera dans toute l’étendue de la république, épeler à l’enfant du pauvre la constitution de son pays. Dieu, la loi et la patrie entreront en même temps dans son cœur. Voilà la vraie grandeur du XIXe siècle : nos pères avaient conquis la liberté, c’était à nous de la sanctifier. » (La Liberté de penser, 15 septembre 1848.)