Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 56.djvu/355

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
I.

Charles-Benoît Hase était né en 1780 dans une des petites principautés saxonnes de l’Allemagne. Il appartenait à une famille de pasteurs très pieuse, très dévote : dans une de ses lettres, étant déjà à Paris, il se plaint qu’au lieu des nouvelles de la maison, qu’il avait demandées, on lui expédie des sermons, de l’exégèse, un commentaire sur saint Luc, chapitre XIII, verset 24-30. Dès son adolescence, par sa manière de penser et de vivre, il tranchait sur ses frères et sœurs, qui ne savaient que faire de lui : il leur faisait l’effet tantôt d’un pédant, tantôt d’un être démoniaque. Vers 1799, il se rendit à l’université d’Iéna, où, selon l’usage du temps, il poursuivit ses études dans toute sorte de directions, antiquité classique, théologie, histoire, philosophie, histoire naturelle. De tous ses maîtres il ne paraît pas avoir gardé une haute opinion. Et cependant Iéna, au commencement du siècle, présentait un ensemble de professeurs comme il est rarement donné à une université d’en réunir : pour la philosophie, elle possédait Fichte et Schelling, pour la littérature, Guillaume Schlegel, pour l’histoire, Schiller. Mais la jeunesse est difficile à satisfaire : il y avait d’ailleurs incompatibilité d’humeur entre ces grands idéalistes et le jeune étudiant, qui se rattachait franchement à la philosophie française du XVIIIe siècle. Les « contemplateurs de l’idée d’infini » ne lui causaient que de l’impatience. Quelques Grecs de Constantinople et d’Épire, qui se trouvaient alors à Iéna, paraissent avoir eu sur lui au moins autant d’influence que les cours ex professo : dans leur société, il apprit à parler le grec moderne. Il y joignit, car il avait une véritable aptitude pour apprendre et parler les langues, quelque peu d’arabe.

Avec toutes ces ressources d’instruction et de savoir, Iéna n’a pas le don de lui plaire : il s’y sent à l’étroit. L’inégalité des rangs, l’arrogance des gros personnages, l’incertitude de l’avenir, pèsent sur lui ; la rudesse des manières lui répugne. Au contraire, il est poussé vers la France, vers Paris, autant par ses opinions démocratiques que par l’éclat que la grande ville, fraîchement sortie de la tempête, recommence à jeter dans le monde. Derrière ce voyage, il en entrevoit un autre : il veut se rendre en Grèce pour travailler au relèvement de la race hellénique. La campagne d’Egypte avait été saluée par les Grecs comme un premier pas vers la délivrance de leur patrie : les commencemens du mouvement philhellénique sont de cette époque. Mais le second projet n’apparaissait que dans un lointain assez vague; le but immédiat était Paris.

C’est ce voyage en France et les premiers temps du séjour à