admirables de vérité et de pénétration. Les scènes du lit de mort du vieux Featherstone et de la lecture de son testament méritent tout particulièrement d’être citées. Pour l’abondance des figures et le sentiment caricatural indulgent et fin avec lequel elles sont tracées, cela est à placer à côté des meilleures peintures de Wilkie.
Daniel Deronda est le dernier grand ouvrage de George Eliot. Ce livre se compose de deux romans qui se déroulent parallèlement sans jamais se mêler intimement, à la manière de deux fleuves qui coulent dans un même lit et se traversent sans mêler leurs eaux parce qu’ils courent en sens inverse l’un de l’autre. D’un côté, le monde de l’égoïsme élégant, de l’autre, le monde de l’enthousiasme ; si par cette composition en quelque sorte manichéenne, l’auteur a voulu dire qu’il n’y aura jamais fusion entre les enfans de la lumière et les enfans des ténèbres, aussi rapprochés qu’ils vivent les uns des autres, elle a pleinement réussi, et c’est en toute vérité ce qu’elle a voulu dire. De ces deux romans celui qui est consacré aux en ans d’Ahriman, l’histoire de Gwendolen Harleth et de Grandcourt, est cependant le meilleur. Cette partie du livre, — celle-là seulement, — est à mon avis la production la plus remarquable qui soit sortie de la plume de George Eliot depuis les romans de sa première manière. Les qualités qu’elle semblait avoir en partie perdues après Silas Marner et le Moulin sur la Floss, lorsqu’elle n’avait plus eu pour la soutenir les souvenirs des impressions de ses jeunes années, elle les a retrouvées à la veille de sa fin pour donner forme aux observations amassées à un âge où l’âme est moins perméable aux émotions et dans un monde qui ne permet pas sans les contrarier l’exercice des dons qui lui étaient propres. Elle aurait pu dire d’elle-même en parodiant un vers célèbre de Victor Hugo que la vie lui avait refait une virginité d’observatrice. Cette réalité élégante et mondaine que sa vie d’écrivain lui avait permis d’approcher a été peinte avec une irréprochable impartialité, sans un ton faux, sans un détail hors de place, sans une nuance hasardée. La figure de Grandcourt en particulier mérite toute admiration. Cet être au visage blêmi par la débauche, au cœur flétri par le vice, à l’âme effacée par la nullité intellectuelle et ces lois du bon ton qui proscrivent les manifestations extérieures des passions, formidable cependant sous cette absence de relief et inéluctable sous tant de faiblesses, compose certainement le portrait de dandy le plus étonnant qui ait été encore peint. Et Gwendolen, comme on la sent vraie et qu’elle est vivante avec ses chimères d’enfant gâtée, ses ambitions de fille pauvre, ses insolences de jolie femme, ses humilités de chienne fouettée sous les cinglantes remontrances de Grandcourt, ses emportemens soudains de haquenée pur sang