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de quelque part qu’il arrive et quelque nom qu’il porte, anglicanisme, catholicisme, calvinisme, judaïsme, elle est prête à l’accepter pour ses personnages. Remarquez seulement que ce secours sort toujours d’un sanctuaire, cloître, conventicule, synagogue, jamais d’un froid cabinet d’études ou d’une méditation exclusivement philosophique. Il y a mieux ; elle n’accepte pas la religion sans le cortège de certaines pratiques, et elle considère quelques-unes de ces pratiques comme indispensables à la santé de l’âme. Elle pousse très loin dans ce sens, car elle s’approche singulièrement, — qui l’aurait cru ? — des doctrines du catholicisme sur la nécessité de la direction de conscience. Chose curieuse et qui montre bien à quel point la nature du sexe perd peu ses droits même chez une femme de génie, c’est surtout pour les femmes que George Eliot reconnaît cette nécessité d’un guide spirituel, non parce qu’elle les estime plus faibles, mais parce qu’elle les estime plus passionnées et que, par conséquent, elles ne peuvent être sauvées, protégées, relevées, consolées que par une autorité morale qui ait pouvoir sur leur sensibilité. C’est un tel sauveur que Jeannette Dempster, des Scènes de la vie cléricale, cherche et trouve dans le jeune ministre, M. Tryon, qui la retire des abîmes du désespoir et des habitudes vicieuses de l’ivrognerie ; c’est un tel protecteur que Maggie Tulliver vient chercher un instant auprès du docteur Kenn, c’est un tel guide spirituel que Romola trouve dans Savonarole. L’endurcissement de cœur et le silence opiniâtre d’Hetty Sorrel après son crime cèdent à la parole religieuse de Dinah Morris ; pour être opéré par une petite méthodiste, ce n’en est pas moins le miracle de résurrection morale que le catholicisme attribue à l’aveu des fautes. Ce besoin est présenté comme si impérieux qu’à défaut d’un guide revêtu d’un caractère sacerdotal, l’âme féminine le cherchera sous les formes laïques d’un ami, d’un mari, d’un maître, voire d’un amant. C’est là l’histoire de Gwendolen Harleth. Ce qu’elle voudrait trouver dans Daniel Deronda, c’est un confesseur dans toute la précision du terme, c’est-à-dire un ami qui lui inspirerait respect et vénération encore plus qu’amour, à qui elle pourrait faire l’aveu de ses fautes, qui pourrait prononcer sur elle la formule de l’absolution et la faire entrer dans une vie nouvelle où ses anciennes erreurs seraient oubliées. Rappelez-vous ou lisez les admirables scènes où cet appel au secours adressé à une âme choisie pour l’estime qu’elle inspire et la sûreté qu’elle promet est poussé avec une si douloureuse insistance. Mais l’exemple de Félix Holt et d’Esther Lyon est peut-être celui où l’auteur s’est le plus longuement complu à montrer les bienfaits de cette sorte de direction de conscience. Esther Lyon est une jeune fille éprise d’un faux idéal, qui gâte une sensibilité vraie par une sentimentalité prétentieuse et corrompt de rêveries