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plus librement, plus attentivement des intérêts de toute sorte qu’elle a dans le monde.

Pour ces intérêts qui ne sont pas les moins importans, ils ont eu assurément à souffrir de cet interrègne d’un mois au ministère des affaires étrangères, et M. Challemel-Lacour, il faut l’avouer, recueille pour son compte un difficile héritage. Ce n’est pas que, depuis quelques semaines, des événemens nouveaux se soient produits, que la situation de l’Europe se soit aggravée ou compliquée. Il n’y a précisément rien de changé. Seulement les affaires de la diplomatie sont toujours graves et délicates. Elles n’attendent pas nos convenances et le bon plaisir de nos partis pour se développer; elles suivent leur cours de toutes parts, surtout en Orient, où nos querelles intérieures nous ont déjà coûté plus d’un échec. Il n’y a que quelques jours, notre ambassadeur à Constantinople en était réduit à attendre la fin de la crise ministérielle pour avoir des instructions au sujet des affaires du Liban, où la France a des traditions d’influences. Ces instructions vont pouvoir être envoyées si elles ne le sont déjà. On pourra peut-être aussi essayer de ne pas tout perdre en Égypte ; mais la question la plus sérieuse, ou, si l’on veut, la plus immédiate, est celle qui se débat en ce moment même, à la conférence de Londres, c’est le règlement de la navigation du Danube. Deux difficultés se sont élevées aussitôt dans la conférence et ont menacé de tout compromettre. La première est venue de la persistance de la Russie à revendiquer ses droits de souveraineté, à l’exclusion de toute ingérence européenne sur sa partie septentrionale du delta du Danube, sur la bouche de Kilia qu’elle a reconquise par la dernière guerre. Un moment, la question a paru insoluble; depuis quelques jours, elle semble être entrée dans la voie des compromis, à la faveur sans doute de l’entente qui s’est établie entre la Russie et l’Autriche. La seconde difficulté, qui est loin d’être résolue, tient à l’organisation de la surveillance de la navigation du Danube, à la répartition des influences dans la nouvelle commission internationale. Ici l’Autriche met toute son opiniâtreté à défendre sa prépondérance sur tout le cours du Danube, et elle a rencontré un adversaire bien inégal sans doute, mais également tenace, le jeune royaume de Roumanie, qui vient de trouver un historien patriote, un défenseur instruit dans le prince George Bibesco, l’auteur d’un livre aussi substantiel qu’animé : Histoire d’une frontière; la Roumanie sur la rive droite du Danube. La Roumanie réussira-t-elle à maintenir ses droits, à faire accepter une part de ses revendications et à contenir la prépondérance autrichienne? Elle résiste du moins pied à pied et elle mérite d’être soutenue, — bien entendu dans la limite de ce que peut permettre aujourd’hui l’intérêt supérieur de la paix européenne.


CH. DE MAZADE.