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ou négociateur, et s’il a assez de talent pour briller dans un débat parlementaire, il a une assez haute idée de son importance pour embarrasser les rapports ministériels et diplomatiques. M. Waldeck-Rousseau s’était déjà signalé, même dans le cabinet de M. Gambetta, par ses allures de jeune doctrinaire républicain impatient de s’émanciper et de faire sentir son autorité. Entre M. Waldeck-Rousseau, M. Challemel-Lacour et M. Jules Ferry l’entente sera-t-elle toujours facile? M. le président du conseil se flatte sans doute de tout concilier sous sa direction, de conduire ses collègues de l’intérieur et des affaires étrangères, de même qu’il compte mettre d’accord l’économie dans le budget et les entreprises coûteuses, le libre échange représenté par le ministre des travaux publics, M. Raynal, et les idées de protection commerciale représentées par le nouveau ministre de l’agriculture, M. Méline. L’œuvre sera peut-être laborieuse dès qu’il s’agira de passer des paroles plus ou moins vagues d’une déclaration aux réalités du gouvernement; mais après tout, s’il n’y a qu’une médiocre cohésion, s’il y a des rivalités ou des dissentimens toujours possibles dans ce ministère qui vient de naître, ce n’est là encore que son moindre défaut; sa vraie et dangereuse faiblesse est dans une origine désormais entachée d’une iniquité, dans la situation qu’il s’est faite en prenant le pouvoir, dans le premier acte par lequel il a engagé ou attesté sa politique. Assurément, si, en entrant au gouvernement, le cabinet de M. Jules Ferry avait pris au sérieux ces promesses d’apaisement qu’il prodigue, s’il avait mis un peu de son énergie à ramener les esprits troublés au bon sens qu’il invoque, s’il s’était dit et s’il avait dit qu’il n’y avait pas d’autre moyen de clore un incident malheureux que de n’en plus parler, que la meilleure garantie était dans une direction vigilante des affaires, il aurait rencontré peut-être encore des résistances; il aurait trouvé en même temps un appui dans l’instinct public, dans tous les sentimens froissés, offensés par l’humiliant spectacle qu’on offre depuis plus d’un mois à la France; il aurait eu aussitôt un autre caractère, une autre attitude. C’est alors qu’il aurait réellement relevé le gouvernement. Son irrémédiable faiblesse, c’est d’avoir mal débuté, d’avoir commencé par un gage offert à l’esprit de violence et de n’être désormais qu’un relais ministériel de plus dans cette république parlementaire dont on parle toujours en la comprenant si peu, où tout semble consister à payer des rançons périodiques aux passions révolutionnaires.

Puisque le ministère reconnaît lui-même qu’il n’y avait pas à violenter le sénat, qui a repoussé toute mesure d’exception, la plus simple, la plus juste des politiques était apparemment de s’en tenir à ce qui venait d’être décidé, de laisser tomber dans l’oubli cette déplorable affaire. Au lieu de saisir par une hardiesse heureuse l’occasion d’en finir avec une situation fausse, développée et aggravée par six semaines d’agitations effarées, le nouveau cabinet a préféré perpétuer