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garder la chambre et le coin de son feu, pour s’y livrer à toute sorte de petites expériences de politique amusante, pour y savourer les plaisirs qu’on éprouve à faire soi-même sa petite cuisine et à regarder bouillir sa marmite. Il a été prononcé dernièrement un mot bien caractéristique. Quelqu’un que nous ne nommerons pas, un haut personnage, n’a pas craint de dire : « Que me parlez-vous de nos intérêts en Orient? La France finit à Marseille. » Hélas! la France ne finit plus à Strasbourg. Mais quand il serait vrai qu’elle doit préférer son repos à sa grandeur, renoncer à toute entreprise et se renfermer dorénavant dans le souci de son pot-au-feu, il faudrait prouver qu’en perdant son influence, un grand pays ne compromet pas son bien-être et sa fortune. On nous assure cependant que, depuis que l’Egypte est devenue une province anglaise, la propriété foncière a diminué de valeur à Marseille.

Au surplus, les députés d’opinion avancée qui souhaitent que leur pays n’ait plus d’affaires extérieures, ni de politique étrangère, ne pensent pas que le repos soit le meilleur des biens. S’ils désirent que nous vivions désormais en famille sans regarder au-delà de nos frontières, ce n’est point par égard pour nos lassitudes, pour les fâcheux souvenirs que nous ont laissés de funestes aventures. Loin de là, ils se proposent de nous ménager une existence fiévreuse, agitée et pleine d’émotions, nous pouvons nous en remettre à eux. Ils entendent faire de la France une jolie pétaudière bien close, sans fenêtres sur la rue; on s’y gourmera du matin au soir. Dans ce lieu de délices, les paresseux qui resteront neutres et jugeront des coups sans en donner et sans en recevoir, passeront pour de grands philosophes, et sainte Indifférence fera l’effet d’une sagesse suprême. Cette pétaudière ne laissera pas d’avoir des ambassadeurs et des ministres plénipotentiaires accrédités auprès des cours; on ne saurait avoir trop de places à donner à ses amis ou à se réserver à soi-même. Mais ces ambassadeurs en habit brodé n’auront rien à dire à personne, et personne n’aura rien à leur dire. S’il arrivait d’aventure que cet absolu détachement des choses du dehors compromît nos industries, nos intérêts commerciaux et que l’étranger absorbât à son profit des marchés où nous avions accès, on y remédierait bien vite en révisant la constitution, en renversant deux ou trois cabinets de plus, en bâclant quelque nouvelle loi des suspects et en demandant raison de toutes nos déconvenues à l’orléanisme et aux orléanistes.

Par bonheur, les dangereux sectaires qui se soucient aussi peu de notre grandeur que de notre tranquillité ne sont pas encore nos maîtres. Mais ils assiègent les avenues du pouvoir, et tous les moyens leur seront bons pour s’emparer de la place. « Qu’importe, disait un jésuite, par où nous entrions dans le paradis, moyennant que nous y entrions? Soit de