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XII.

Un incident, sur ces entrefaites, redoubla notre émotion. Au seuil de la maison nous trouvâmes l’étranger dont avaient parlé les enfans de Peter. Ne voyant revenir personne, il était allé chercher du secours au hasard, par un autre chemin que celui qui nous avait amenés. Je ne puis dire l’impression que produisit sur moi de loin cette longue silhouette élancée, impossible à méconnaître, cette boîte de fer-blanc peinte en vert et suspendue à une courroie qui se balançait sur les pans d’un habit grisâtre. Je regardai Nata, qui semblait pétrifiée. Le comte ! c’était bien lui ! Tout à coup, — que la bonne Joanna me pardonne, — je ne pensai plus à la blessée, je ne pensai plus à rien qu’au bonheur qui semblait venir au-devant de ma petite amie. — Tout ira bien, pensai-je avec Peter. Mais était-ce le bonheur ? tout irait-il bien en effet ? Que faisait ici M. de Pavis ? Voulait-il poursuivre Nata pour la perdre, malgré toutes les précautions tardivement prises par sa famille, ou bien était-ce la Providence qui le ramenait par la main ?

— Dieu soit loué, vous voici ! nous cria-t-il, sans affecter à notre vue la moindre surprise. Je n’aurais jamais pu la transporter tout seul, de sorte que j’ai cherché de l’aide où j’ai pu. Quelle étrange rencontre ! Sans moi que devenait-elle ? Allons, ne pleurez pas, Nata… Il faudra bien qu’elle guérisse, je ne veux plus que vous ayez du chagrin.

Il me sembla qu’il tremblait et qu’un profond attendrissement rendait ce Sylvain tout différent de lui-même.

Nous étendîmes sur un lit la blessée toujours immobile ; sa main pendait lourdement le long des draps, tandis que Peter, avec des soins étonnans chez un être aussi rustique, arrangeait les oreillers autour d’elle. Si le brancard n’était pas resté longtemps en route, c’était grâce à sa force herculéenne. Nata semblait uniquement occupée de Joanna. J’observais cependant le comte, qui ne la quittait pas des yeux, et le regard plein de compassion qu’il attachait sur elle me rassura dès ces premières minutes. On y lisait le remords. Elle était si changée en effet, si maigre, si triste ! Quelle pitié que tout l’éclat, toute la félicité d’une vie soit souvent à la merci de la volonté d’un autre !

Je crois que Saverio de Pavis commençait à comprendre qu’il tenait dans sa main des cordes qui vibraient au plus profond du cœur de cette enfant et qu’il avait peut-être abusé de son pouvoir sur elle.

Le docteur arriva presque en même temps que nous, un grand