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passé, puisqu’elle n’a plus le besoin pour excuse. Ici, la cupidité fait briser des statues dont on vend les fragmens épars aux collectionneurs de l’Europe; là, on ne détruit pas les statues, mais on les laisse périr. Je ne sais si la demi-civilisation n’est pas plus barbare que la barbarie et si la cupidité et l’indifférence ne sont pas plus pernicieuses à l’art que le fanatisme et les fours à chaux.


III.

Nous avons montré, dans ce qui précède, que la loi de 1834 a des effets déplorables et que la direction des antiquités en Grèce suit de funestes erremens. Il n’est pas besoin, pour enrayer le mal, pour le réparer dans une certaine mesure, d’ajouter un centime de dépenses au budget si onéré de la pauvre Grèce. Il suffit à la chambre d’ordonner le transfert à Athènes de toutes les collections d’art auxquelles les localités intéressées ne peuvent pas fournir une installation convenable, de toutes celles qui se trouvent placées en dehors des routes suivies d’ordinaire par les voyageurs. Le musée national est assez grand, lorsqu’il sera installé avec méthode, pour contenir et faire valoir toutes les belles œuvres découvertes en Grèce. Les petits musées d’Athènes, en particulier ceux du Théseion de l’Acropole, doivent être dépouillés des objets qu’ils renferment et leur contenu transféré au musée central[1]. On ne laisserait en place, soit à Athènes, soit dans les provinces, que les objets dont l’intelligence n’est complète que par le rapprochement avec les monumens auxquels ils appartiennent ou par la topographie de la région où ils se trouvent. Je citerai comme exemple le Lion de Chéronée et les bas-reliefs du théâtre de Bacchus à Athènes. Quant à la loi de 1834, elle est à biffer d’un trait de plume. Une autre loi peut être votée qui, tout en assurant à la Grèce la propriété entière des œuvres exhumées chez elle par des savans étrangers[2], en prohibant sous les peines les plus sévères les fouilles clandestines, permette au propriétaire d’un objet d’art de le faire sortir de Grèce moyennant un droit proportionnel au prix d’achat. La perception de ce droit fournirait des ressources qui seraient employées à l’acquisition d’œuvres d’art, et le gouvernement se réserverait toujours le droit de préemption jusqu’à la somme maxima de 30,000 drachmes. Par exemple,

  1. La loi de 1834, qui n’a pas été suivie en cela, prescrit la formation à Athènes d’un musée central d’antiquités.
  2. M. Castorchis s’escrime contre des moulins à vent lorsqu’il dit que les étrangers accusent la Grèce parce qu’elle veut garder les œuvres d’art trouvées par eux sur son territoire. (Athénaion, 1881, p. 467.) Pas un homme compétent n’a soutenu une pareille thèse. On accuse au contraire la Grèce de ne pas savoir préserver ce qu’elle garde; nous avons prouvé que cette accusation est fondée.