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plus voisine affirme son droit de la conserver. L’île de Myconos, une des Cyclades les moins fréquentées, les moins attrayantes par elles-mêmes, a suivi l’exemple d’Olympie. La municipalité de cette île possède, je ne sais à quel titre, l’usufruit des deux îles de Délos et de Rhénée, qu’elle afferme chaque année à des chevriers moyennant une redevance aussi modeste que les pâturages qu’ils y vont chercher. Or, depuis 1875, l’École française d’Athènes a poursuivi dans l’île de Délos des fouilles remarquablement fructueuses, qui seraient moins inconnues du public français si Paris possédait, comme les villes d’universités en Allemagne, une collection de moulages tenue au courant. Ce n’est pas notre intention d’exposer ici ce que ces fouilles ont apporté à la science de documens nouveaux et d’objets d’art précieux : qu’il nous suffise de dire que le musée de Myconos, — un affreux magasin où l’on a enfoui ces marbres, — est plus riche que toute autre collection du monde en produits de la sculpture grecque avant Phidias. Il faut être un archéologue bien intrépide pour entreprendre le pèlerinage de Myconos. C’est un voyage sans intérêt aucun, qui, par suite du service irrégulier des paquebots grecs, demande au moins dix jours, dans les circonstances les plus favorables, à celui qui part d’Athènes pour y retourner. Myconos ne possède pas d’hôtel ni même d’auberge. Celui qui espérerait en rapporter des photographies ou des dessins serait complètement déçu : où ne peut ni photographier ni dessiner dans une sorte de cave où des statues brisées en deux tronçons, qu’un plâtrier raccorderait en une heure, sont abandonnées avec une parfaite indifférence dans l’état même où on les a trouvées. Encore si ce prétendu musée abritait toutes les œuvres d’art qu’on a découvertes à Délos! Mais on a laissé dans l’île, pour être effrités par la pluie et par le vent, ou brisés peu à peu par des chevriers oisifs, les marbres dont le poids ne permettait pas qu’on les amenât au rivage à force de bras. La magnifique statue de Caïus Ofellius, une des plus belles œuvres de la sculpture gréco-romaine[1], reste couchée au fond d’un ravin et a déjà été mutilée. Une Némésis colossale, une statue de la déesse Rome, attendent tristement, sur des piédestaux improvisés, qu’Athènes se décide à leur offrir un asile. — Lorsque l’on voit à Délos les innombrables fours à chaux où le moyen âge a transformé en plâtre tant de statues de maîtres, on se prend à détester l’ignorance des hommes qui ont commis ces dévastations. Mais l’ignorance et le vandalisme ne sont pas le privilège du moyen âge. Si les fours à chaux sont éteints, la destruction continue sous une autre forme; elle est plus coupable que par le

  1. Cette statue a été publiée d’après une photographie faite sur place, et nécessairement imparfaite, dans le Bulletin de correspondance hellénique, 1881, pi. XII.