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une antiquité en Europe supporte les dépenses du fret et les risques inséparables du transport : il est donc naturel qu’il trouve de l’avantage à vendre sa trouvaille dans le pays même pour une somme inférieure à celle qu’il réclamerait à Paris. Malheureusement, si la Société archéologique achète quelques antiquités, le gouvernement grec menace de confisquer celles que l’on exporte ; il s’ensuit que l’exportation devient beaucoup plus coûteuse et que les prix en Europe atteignent des chiffres exagérés. Ces plus-values, résultat des lois contre la contrebande, deviennent une prime à la contrebande elle-même, et tous ceux qui connaissent le Pirée savent que l’administration la plus vigilante ne peut empêcher qu’elle ne s’y exerce presque à toute heure. Il est du reste tout à fait impossible de fouiller les poches des voyageurs, d’exercer un contrôle sur les paletots de forme suspecte ou les fustanelles trop épanouies. Presque toutes les figurines en terre cuite trouvées en Grèce ont été embarquées sans encombre au Pirée ou à Corinthe. Une loi est convaincue d’absurdité lorsque l’exécution n’en peut être contrôlée que par exception. Les Grecs sont d’ailleurs trop intelligens pour prendre cette loi bien au sérieux. Les étrangers, qui la redoutent, reculent devant la fraude, mais on leur vend des antiquités livrables à bord des paquebots, en douane de Trieste ou de Marseille. Il est dans l’intérêt des marchands de représenter la surveillance comme très sévère, parce que l’acquéreur effrayé surpaie volontiers son objet si le vendeur s’engage à le lui remettre en lieu sûr. Quand la dimension des antiquités est un peu forte, l’exportation devient difficile; mais dès que l’affaire en vaut la peine, on trouve toujours des accommodemens avec le ciel[1]. Il ne serait pas convenable de citer des noms : mais les Athéniens savent tous quel haut et puissant personnage a expédié de Patras à Londres le magnifique Satyre de bronze qui est aujourd’hui une des perles du Musée britannique. Ils savent aussi que le principal exportateur d’antiquités à Athènes n’est pas précisément marchand de sa profession, et ils riront peut-être des scrupules que j’éprouve à écrire des noms qui sont connus de tout le monde.

Nous avons montré comment les fouilles clandestines, conséquence de prohibitions impuissantes, ont pour effet de livrer des régions entières à une exploitation brutale qui démarque ce qu’elle ne détruit pas. Mais nous n’avons encore parlé que des objets de petite dimension, qui sont en somme, pour la plupart, des objets d’étagère et dont la mode a peut-être exagéré la valeur. Ce que nous avons à dire des marbres est plus triste, car c’est sur ces

  1. Des détails que la discrétion m’empêche de donner ont été publiés à ce sujet par M. W. J. S. dans le journal the Nation de New-York, 4 janvier 1883.