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énumérer les fouilles clandestines qui se poursuivent, depuis cinquante ans, sur toute l’étendue du territoire de la Grèce, nous entreprendrions une tâche sans fin. Nous ne voulons d’ailleurs dénoncer personne : contentons-nous de citer quelques faits à l’appui de notre assertion. L’immense nécropole de Tanagre, en Béotie, d’où sont sorties les milliers de figurines en terre cuite qui peuplent les musées et les cabinets de l’Europe, a été littéralement dévastée, depuis 1871, par les paysans et les marchands d’antiquités. Lorsque le gouvernement grec, après des années d’indifférence, a envoyé à Tanagre un poste de soldats, le mal était déjà sans remède. La plus belle nécropole de la Grèce et du monde avait été saccagée sans aucun profit pour la science, qui a fait là une perte irréparable. Il ne s’agit pas en effet pour l’archéologie de recueillir des bibelots au hasard, de remplir des vitrines ou de couvrir des étagères. Le produit de fouilles faites par un marchand peut être d’un grand attrait pour les artistes, mais la science de l’antiquité ne trouve son compte que lorsqu’on a consigné, dans des procès-verbaux minutieux, l’endroit précis où chaque objet est sorti de terre, la disposition des statuettes, des vases, des objets de toilette dans les sépultures, la nature du contenu de chaque tombe, celle des moindres fragmens qu’on a pu y recueillir. Les marchands et, à plus forte raison, les paysans n’ont aucun motif pour faire ces observations; ils cherchent des objets intacts, brisent ou rejettent les autres et s’empressent de vendre leurs découvertes à d’autres marchands qui les falsifient souvent, par l’addition d’attributs ou de couleurs, pour leur donner plus de rareté et de prix. Le pillage de la nécropole de Tanagre, que le gouvernement grec a toléré pendant quatre ans, est un des épisodes les plus affligeans du vandalisme qui fleurit en Grèce et brise ou dénature plus de monumens que n’en ont détruit les Turcs : Quod non fecere Barbari, fecere Grœculi. Toute fouille clandestine est nécessairement hâtive : la moitié peut-être des charmantes statuettes que contenaient les tombes de Tanagre ont été réduites en poussière par la pioche des explorateurs de contrebande. La Société archéologique, il est vrai, a fait exécuter quelques fouilles à Tanagre; mais dans l’intervalle de ces explorations, qui ont donné des résultats médiocres, les recherches clandestines ont continué. On a fouillé la nuit, pendant les mois pluvieux de l’hiver, au risque de mettre en pièces vingt statuettes avant d’en découvrir une qui fût intacte. Il en résulte que la nécropole de Tanagre est aujourd’hui presque épuisée : cinq mille statuettes et autant de vases, représentant une valeur énorme, ont passé à Paris, à Londres et à Berlin, alors que le musée de la Société archéologique ne contient qu’une maigre collection dont les plus belles pièces ne sont pas comparables à celles qu’on voit au Louvre, et, à Athènes même, chez les grands