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proposons de traiter ici, dans l’espoir d’attirer l’attention sur un état de choses déplorable qu’il dépendrait des gouvernemens de faire cesser. Trois ans de séjour sur les bords de l’Archipel nous ont mis à même de constater trop souvent la persistance du vandalisme dans la patrie même de l’art grec. Nous voulons croire que l’autorité n’en est pas la complice ; mais elle ne prouvera clairement son innocence qu’en introduisant des réformes efficaces auxquelles l’indignation du public instruit aurait dû la contraindre depuis longtemps.


I.

La renaissance du sentiment national en Grèce a été accompagnée et soutenue par un réveil du goût archéologique. Dès 1812, en pleine domination ottomane, se forma la société des Philomousoï, sous la protection de Capo d’Istria, de l’empereur Alexandre et du prince Louis de Bavière. Elle avait pour but la conservation des monumens, la fondation d’une collection d’antiques et d’une bibliothèque[1]. Ainsi naquit le premier musée de la Grèce moderne, dans le sous-sol de l’orphelinat d’Égine. Mais bientôt éclata la lutte terrible qui, de 1821 à 1827, couvrit la Grèce de ruines nouvelles et ne lui rendit l’indépendance qu’après l’avoir presque dépeuplée. Les récits des archéologues qui accompagnaient l’expédition de Morée présentent l’image la plus effrayante de la désolation qui régnait alors partout. C’est l’honneur de ce malheureux peuple d’avoir compris, dès les premiers jours de sa liberté reconquise, que l’Europe, en venant à son secours, avait rendu hommage à la Grèce antique, et qu’il avait lui-même des devoirs à remplir envers ceux dont le souvenir l’avait sauvé.

Quelle ne dut pas être la tristesse des savans qui visitèrent les premiers, après la retraite des Turcs, cette acropole d’Athènes que Carrey, au temps de Louis XIV, avait encore vue dans toute sa gloire ! Morosini, Elgin, le siège de 1827, avaient fait du Parthénon la ruine d’une ruine ; le temple de la Victoire Aptère n’existait plus, des monceaux de décombres, des murs écroulés, des marbres réduits en éclats couvraient le sol. Il y avait tout à faire, et cela dans un pays épuisé, travaillé encore par des dissensions intestines qui survécurent à la guerre étrangère. Aujourd’hui, le voyageur qui visite Athènes, cinquante ans après la constitution du royaume grec, ne peut s’empêcher d’abord de rendre hommage à l’activité des hommes qui ont fait renaître de ses cendres une ville entièrement ruinée, formé des musées qui comptent parmi les plus riches

  1. Voyez, dans l’Histoire de l’archéologie de l’art de Bernhard Stark (Leipzig, 1880), l’histoire des études archéologiques en Grèce au XIXe siècle, p. 326 et suiv.