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une Vierge avec l’Enfant Jésus, d’une grande beauté de dessin et d’un sentiment tout à fait giottesque. Mais il n’y a à tirer de ces fresques aucun argument en faveur des théories de M. Salazaro sur le développement précoce de la peinture dans le royaume de Naples. Les princes angevins devaient tout naturellement, par suite de leurs rapports avec Florence, appeler des peintres de cette ville à décorer les édifices qu’ils construisaient. Au moment où fut terminée la cathédrale de Lucera, Giotto, qui a travaillé à Naples, était dans le plein épanouissement de son talent et de son influence ; et c’est à son école que se rattachent directement les fresques retrouvées dans cette église bien plus qu’à ce que l’on connaît du style de l’école latine contemporaine des peintres de la Pouille et du comté de Lecce.

La cathédrale de Lucera montre encore une statue de marbre que l’on prétend être celle du roi Charles II d’Anjou. Elle est aujourd’hui dressée contre le mur à l’intérieur, à gauche de la porte d’entrée principale, debout sur un piédestal de pierre, où une inscription en lettres modernes lui applique le nom du prince angevin. Mais cette attribution, d’après laquelle M. Gregorovius, dans un ouvrage tout récent, traçait un portrait de Charles II, ne supporte pas un seul instant l’examen pour un archéologue. La statue, qui date du courant du XIVe siècle, n’a jamais été l’effigie ni de Charles II, ni d’aucun roi. C’est celle qui était couchée sur la tombe d’un simple chevalier. Il est revêtu de son armure, avec la tête, aux traits juvéniles, nue et reposant sur un oreiller ; ses mains sont jointes sur sa poitrine et ses pieds s’appuient sur deux chiens.

Du haut des murs du château de Lucera on aperçoit à une vingtaine de kilomètres de distance au nord, toujours dans la plaine, San-Severo, ville de plus de 17,000 âmes enrichie par l’agriculture et aujourd’hui dans un état de prospérité toujours croissante malgré les ravages extraordinaires qu’y fit le choléra en 1865. En 1799, elle fut, comme Andria dans la province de Bari, le point où se retranchèrent les Bourboniens pour résister à la nouvelle république que venaient d’établir les Français. Le général Duhesme vint l’attaquer avec une division de l’armée de Championnet et les volontaires napolitains que commandait Ettore Caraffa, comte de Ruvo. Car ce chef de la grande maison des Caraffa, si illustre dans l’histoire, qui fut au XVIIe siècle la première du Napolitain, avait embrassé avec ardeur la cause républicaine comme une grande partie de la haute noblesse du royaume. La résistance et l’attaque eurent l’acharnement propre aux guerres civiles. On se battit sans quartier, et la ville ne finit par être prise qu’après que Caraffa y eut fait, de même qu’à Andria, mettre le feu pour déloger des maisons