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de la ville qu’ils habitaient restait déserte. Le monarque angevin en profita pour y installer, à côté d’eux, une colonie de Provençaux, amenés à ses frais, auxquels on donna les maisons inhabitées et les terres abandonnées. Il fit aussi augmenter les défenses du château, qui désormais tenait les musulmans en bride, au lieu de leur servir de casernement.

Cependant la papauté ne cessait de réclamer des rois de Naples de faire disparaître du sol de la Pouille ce noyau d’infidèles, qui était, avait dit Innocent IV, « comme une épine enfoncée dans son œil. » Cédant enfin aux instances de Boniface VIII, Charles II, en 1300, se résolut à célébrer l’année du jubilé par un autodafé mémorable. En pleine paix, sans aucune provocation de la part des restes des Sarrasins, une armée fut dirigée sur Lucera et en entreprit le siège. Sachant qu’ils n’avaient cette fois aucune grâce à attendre, les musulmans se défendirent en désespérés. A la fin, ils succombèrent sous le nombre; la ville fut prise d’assaut, et les Sarrasins de tout âge et de tout sexe furent impitoyablement passés au fil de l’épée. On n’accorda la vie qu’à ceux, en bien petit nombre, qui consentirent à abjurer l’islamisme.

Après cette effroyable exécution, le roi Charles II repeupla la ville de nouveaux colons, auxquels on en répartit le territoire. La cathédrale fut dédiée solennellement en 1302. Le roi voulut même effacer le nom de Lucera et ordonna qu’on l’appelât Città di Santa-Maria. Mais cette nouvelle appellation officielle ne parvint pas à prévaloir contre l’usage et la tradition populaire.

La nouvelle Lucera, dotée par son fondateur de nombreux privilèges, est restée jusqu’à nos jours une ville assez florissante, qui compte quatorze mille habitans, possède un évêque et est le siège du tribunal de l’arrondissement de Foggia. Quant à la forteresse, elle fut presque immédiatement démantelée et abandonnée. Dès 1525, Leandro Alberti la trouvait en ruines.

Ce sont les restes de cette forteresse qui font encore aujourd’hui le principal intérêt d’une visite à Lucera. L’enceinte, de 900 mètres de pourtour, en est remarquablement conservée et dresse à une grande hauteur ses murailles garnies de tours, découronnées seulement de leurs créneaux. Elle occupe l’extrémité occidentale de la colline, qui en est en même temps la partie culminante, à un quart d’heure de marche de la ville telle qu’elle est, ceinte des remparts dont la dota Charles II d’Anjou. C’est évidemment sur le même emplacement que s’élevait l’arx de la Luceria apulienne et romaine. La muraille suit exactement le bord des escarpemens presque à pic de la colline, excepté sur la face de l’est, tournée vers la ville, où le terrain se continue de plain-pied et où un fossé largo et profond, taillé dans le roc, précède le rempart. Treize tours carrées, bâties