Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 56.djvu/107

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rien pour la beauté des paysages et la grandeur des souvenirs historiques. Elle n’a pas, il est vrai, les splendeurs incomparables de la renaissance; mais, en revanche, à côté des ruines des cités grecques de l’antiquité, le moyen cage en a couvert le sol de magnifiques monumens. Pour nous autres, Français, plus que pour aucun autre peuple de l’Europe, cette extrémité méridionale de l’Italie devrait éveiller une vive curiosité, car son histoire est intimement liée à la nôtre, et, à chaque pas, on y retrouve vivans les souvenirs des Normands et des Angevins, comme ceux des armées de Charles VIII et de Louis XII, ou enfin, plus près de nous, de l’expédition de Championnet et du gouvernement de Murat.

Jusqu’ici, la difficulté extrême des communications, le manque de routes, la crainte des brigands et, plus que tout peut-être, l’horreur des gîtes où l’on est obligé de descendre, ont écarté les voyageurs de cette belle contrée, où les mœurs gardent encore une physionomie si pittoresque. Elle commence à s’ouvrir aujourd’hui dans des conditions plus favorables. Le brigandage est éteint et la sécurité complète; plusieurs lignes de chemins de fer traversent le pays et y donnent sur beaucoup de points un accès facile; où ils n’existent pas encore, on ouvre de bonnes routes carrossables. Ce qui n’a malheureusement fait jusqu’à cette heure aucun progrès, ce sont les gîtes. Ceux qui s’ouvrent au public pour son argent sont exécrables, infestés de vermine, n’offrant, en outre, qu’une nourriture insuffisante et souvent malsaine. Mais que les voyageurs se multiplient, et l’on verra bientôt forcément s’installer des auberges convenables.

Dans l’état actuel des choses, je ne conseillerais d’entreprendre une tournée dans l’intérieur de la Pouille et dans la Basilicate qu’à ceux qui ont déjà fait en Orient l’apprentissage du métier de voyageur. Grâce à l’obligeance de M. La Cava, qui nous avait préparé les logemens, c’est dans des conditions exceptionnelles que j’ai pu faire cette tournée. Partout l’hospitalité la plus aimable et la plus large nous attendait. Ce que j’ai rencontré dans chaque ville, de la part des habitans les plus distingués et des autorités, d’accueil cordial et sympathique, d’empressement à faciliter mes recherches, de libéralité dans les communications scientifiques m’a pénétré de reconnaissance et restera profondément gravé dans mes plus chers souvenirs. Mais je me suis plus d’une fois demandé comment aurait pu se tirer d’affaire un touriste qui serait arrivé inconnu et sans recommandations, contraint de demander le vivre. et le couvert à d’infectes locande de paysans.