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d’une manière agréable et facile ; un deuxième, où se constitue le milieu du drame, où l’auteur, pour ainsi dire, en pose le décor, — et qui se termine par une délicieuse scène de coquetterie galante ; — un troisième, où le drame se noue de la façon la plus ferme, où les scènes les plus variées se succèdent avec une sûreté remarquable ; un quatrième où l’action se précipite, un cinquième qui la dénoue, tel est l’ordre de l’ouvrage. Le troisième acte seul eût suffi à en assurer le succès.

Entre une scène à cinq personnages, où se tient la conversation la plus topique qui se puisse tenir chez Mlle Kayser, l’amie du ministre, et deux scènes capitales, — l’une où Vaudrey se déclare à Marianne, l’autre où Marianne éprouve le duc de Rosas, — un épisode s’est glissé qui fera courir tout Paris. C’est M. Saint-Germain, qui, sous la veste d’un ouvrier, vient chez Mlle Kayser pour poser une serrure ; il ne sait pas que l’homme qui se tient là debout contre la cheminée est Sulpice Vaudrey, le ministre. La belle Marianne fait causer l’ouvrier ; tout en ajoutant une vis ou donnant un coup de lime, ce Parisien désabusé expose devait le ministre ses sentimens sur la politique : « Peu lui importe à lui que ce soit Pichereau ou Vaudrey qui soit ministre ! Cela lui donnera-t-il crédit chez le boulanger si le patron ferme boutique ? » La scène est délicatement faite : on l’a fort applaudie. Qu’aurait-ce été si l’auteur l’avait menée plus vivement, je ne dis pas plus grossièrement ! — La comédie de M. Claretie compte trop peu de mots comme celui-ci que je veux citer, et qui vient justement à propos de cet ouvrier. Comme Vaudrey veut donner à cet homme une place de gardien du Palais-Bourbon, et que le sous-secrétaire d’état lui objecte que son candidat n’a pas de titres : « Et cet autre, dit-il, que nous avons nommé avant-hier, en avait-il, des titres ? — S’il avait des titres à être gardien du Palais-Bourbon.. ? Il l’a envahi deux fois ! »

Monsieur le Ministre est fort bien joué par l’excellente troupe du Gymnase : par M. Marais d’abord, ce jeune homme si généreux qu’il met de la chaleur même à débiter un premier-Paris politique ; par M. Landrol, parfait de convenance dans le rôle délicat de Lissac ; par M. Saint-Germain, exquis de naturel dans son épisode ; par Mlle Magnier, qui devient une comédienne d’ordre supérieur et prouve que le plus court chemin du Palais-Royal à la Comédie-française passe justement par le Gymnase. Il serait cruel de ne pas nommer au moins Mlle Grivot, une duègue qui garde la finesse d’une soubrette ; Mlle Devoyod, une belle personne qui promet une comédienne distinguée ; Mlle Gallayx, M. Pradeau, M. Barbe. Si l’on songe que la troupe du Gymnase s’est dédoublée pour aller jouer avec un succès qui ne nous surprend pas le Roman parisien à Bruxelles, il faut convenir que M. Koning ne laisse pas péricliter la maison de M. Montigny.

J’ai fait compliment à M. Claretie de l’invention de son sujet. A coup