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étaient opposés à l’alliance lacédémonienne. Cimon disait : « Ne laissez pas la Grèce boiteuse en abaissant Sparte, » et deux fois il obtenait de l’assemblée d’aller au secours des Lacédémoniens menacés par les révoltes des Messéniens. Périclès, Ephialte ou du moins leurs partisans eurent recours à la calomnie. On accusa Cimon de s’être laissé corrompre par le roi de Macédoine pendant l’expédition de Thrace. Devant les juges, Cimon n’eut pas de peine à prouver son innocence. Peu de temps après cet acquittement, il quitta Athènes avec deux cents trirèmes destinées à combattre les Perses sur les côtes d’Égypte. Ses adversaires politiques profitèrent de son absence pour proposer une loi modifiant les pouvoirs de l’aréopage. De retour dans la cité, Cimon s’efforça de faire remettre le décret en discussion ; il alléguait que cette loi avait été votée illégalement, puisque l’assemblée avait passé outre au veto de l’aréopage. Cimon était décidément gênant pour les démagogues ; ils se débarrassèrent de lui par l’ostracisme.

Pour obtenir ce verdict du peuple, Ephialte et ses partisans représentèrent Cimon comme préférant Sparte à Athènes même. On avait accusé Thémistocle de médisme, on accusa Cimon de philolaconisme. Ils rappelèrent habilement l’affront que, l’année précédente, une armée athénienne avait reçu des Spartiates. Les Athéniens s’en vengèrent sur Cimon. Tout autre fut la vengeance de l’exilé. Cinq années plus tard, les Spartiates envoyèrent des troupes contre Athènes ; les deux armées se rencontrèrent à Tanagra. Cimon, la veille de la bataille, parut au milieu des hoplites de sa tribu et les conjura de le laisser combattre dans leurs rangs. Mais le conseil des cinq cents, informé de la présence du banni, craignit quelque trahison de sa part ; il fit parvenir aux lochagi (les capitaines) la défense formelle de le recevoir dans les compagnies et à Cimon l’ordre de quitter le camp incontinent. Cimon obéit, mais avant de s’éloigner, il réunit une centaine de ses amis et de ses cliens, regardés comme partisans de Sparte, et les exhorta à combattre avec acharnement pour se laver de ce soupçon, si offensant dans les circonstances présentes. Ces hommes portèrent dans la mêlée l’armure complète de Cimon qu’il leur avait laissée comme un signe de ralliement ; massés en rangs serrés autour de ce trophée, ils se firent tuer jusqu’au dernier. Battus à Tanagra, battus en Thessalie, battus en Égypte, battus en Acarnanie dans une campagne où Périclès commandait, menacés d’une nouvelle invasion des Péloponésiens, les Athéniens daignèrent se souvenir du capitaine dont la victoire avait toujours suivi les armes. Un décret de l’assemblée, rendu sur la motion de Périclès lui-même, rappela Cimon à Athènes.