Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 55.djvu/896

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

appeler au peuple pour se délivrer de ceux qu’ils craignaient ? Il était plus simple de les faire assassiner, le meurtre de Cimon l’Ancien en témoigne. Et d’ailleurs les Athéniens supportaient avec peine la domination des Pisistrates, qui, après avoir commencé par être des tyrans au sens antique, c’est-à-dire des usurpateurs du souverain pouvoir, avaient fini par devenir des tyrans au sens moderne du mot. En instituant l’ostracisme. Hippias et Hipparque eussent donné au peuple une arme contre eux-mêmes. Selon toute probabilité, ce fut le réformateur Clisthène qui établit l’ostracisme.

Clisthène ne se borna pas à remettre en vigueur les institutions de Solon, dont l’exercice avait été à peu près illusoire pendant la tyrannie des Pisistrates ; il les modifia dans un sens plus démocratique, abolissant la plupart des privilèges politiques des eupatrides et donnant à la plèbe, déjà investie par Solon du droit de juger et du droit de voter, accès à nombre de magistratures. Clisthène avait renversé le gouvernement d’Hippias avec l’aide des grands comme avec l’aide du bas peuple. Les aristocrates s’irritèrent des droits nouveaux concédés au démos ; il y eut des dissensions, des troubles, Clisthène, craignant que la démocratie ne fût point assez forte à son origine pour résister aux menées ambitieuses d’un nouveau Pisistrate ou aux luttes des partis, institua l’ostracisme comme suprême sauvegarde de la constitution. On était au lendemain d’une révolution ; les vainqueurs, hier alliés, aujourd’hui divisés, n’avaient point déposé les armes ; tout était à redouter. Élien, dont l’autorité est de peu de poids, raconte que Clisthène fut la première victime de la loi qu’il avait portée. Le chef du peuple dut en effet quitter temporairement Athènes à l’approche d’une armée lacédémonienne amenée parle chef du parti des grands, Isagoras ; mais on ne saurait voir dans ce fait une application de l’ostracisme. Le premier Athénien qui subit l’ostracisme fut un certain Hipparque, parent des Pisistrates. Il fut banni, dit-on, parce qu’il aspirait à la tyrannie. Conspiraient-ils aussi contre la liberté ou se trouvaient-ils en luttes comme chefs de parti, les autres Athéniens qui passent pour avoir été bannis par l’ostracisme dans les vingt premières années du Ve siècle : Xanthippe, le père de Périclès et le vainqueur des Perses à Mycale, Alcibiade l’Ancien et Mégaclès, l’un bisaïeul paternel, l’autre aïeul maternel du célèbre Alcibiade, Callias, fils de Didymos et connu seulement par sa force corporelle et ses victoires dans les palestres ? Vaines hypothèses, car les quelques auteurs anciens qui citent, très à la légère, il est permis de le croire, ces hommes parmi les victimes de l’ostracisme, sont muets sur les motifs et les circonstances de ces bannissemens. Pour trouver un Athénien bien authentiquement frappé par l’ostracisme et un exemple