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L'OSTRACISME A ATHENES


I

La république française mérite bien désormais d’être appelée, selon une parole célèbre, « la république athénienne, » puisque l’on y veut établir la loi de l’ostracisme.

L’ostracisme (vote par les coquilles ou plutôt par les tessons : le mot ὄστρακον a les deux sens, comme le mot têt en français) était un vote du peuple exprimé au scrutin secret, en des comices extraordinaires, qui forçait le citoyen contre lequel se prononçait la majorité à s’éloigner d’Athènes pour dix ans. Ce verdict d’exil était rendu sans que celui qui en était la victime eût le droit de se défendre, sans même qu’il eût été directement mis en accusation. On devait subir « le bon plaisir » du peuple. L’ostracisme était la lettre de cachet du souverain du Pnyx.

Le but avoué de cette loi d’exception était de défendre la démocratie contre les ambitions tyranniques et les divisions intestines. Un général, un orateur, prenait-il une grande place dans l’état, une grande influence à l’assemblée à cause de ses glorieux services, de son éloquence, de ses talens d’administrateur, il tombait sous le coup de l’ostracisme ; deux chefs de parti d’une égale valeur et d’un crédit égal se combattaient-ils pour faire prévaloir leur politique, l’ostracisme les menaçait. En réalité, l’ostracisme, comme le dit Plutarque, était surtout « une satisfaction donnée au peuple, qui aimait à abaisser ceux dont l’élévation le rendait jaloux, et qui ne trouvait que dans leur chute un adoucissement à son envie. »