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compagnie, la concurrence entre chemins de fer étant, comme le reconnaît avec raison M. Lesguillier, plus nuisible qu’utile. — En second lieu, si l’on effectuait prématurément, pour le soutien du troisième réseau, le doublement des grandes lignes, il est évident que le trafic, et, par suite, le revenu de ces dernières subirait, au moins pendant un certain temps, une réduction plus ou moins sensible et que les conséquences de cette diminution tomberaient à la charge du Trésor par le paiement d’une somme plus considérable au chapitre de la garantie d’intérêt. Ainsi, nul profit pour le public, dépense inutile ou anticipée de capital pour l’établissement d’une partie de ces 3,000 kilomètres de lignes doubles, réduction momentanée du produit net de l’ancien réseau, accroissement de la somme à payer par l’état pour garantie d’intérêt : voilà quels seraient les résultats de la proposition émise par l’honorable M. Lesguillier[1].

Les compagnies ont été précisément constituées pour faire face aux besoins d’extension du réseau national. Si le privilège dont elles ont été dotées jusqu’ici leur a procuré les ressources, le crédit, une situation considérable dans le monde financier, ce serait une faute de ne pas utiliser, au profit du public et de l’état, toutes les forces dont elles disposent. S’agit-il de construire, à défaut de l’état, des milliers de kilomètres ? Pour cela, il faut réunir de gros capitaux et recourir au crédit. Le coût de la construction sera plus ou moins élevé, selon le taux d’émission des emprunts. Or les anciennes compagnies obtiendront toujours plus facilement le capital nécessaire ; elles le paieront moins cher que ne le paieraient des compagnies nouvelles, de quelque façon que celles-ci fussent organisées et favorisées par les décisions législatives. Que l’on ne dise pas que la garantie d’intérêt accordée par l’état aux nouvelles compagnies suffira pour élever et maintenir le crédit de ces dernières au niveau du crédit des anciennes compagnies. La confiance que les prêteurs placent dans les titres de chemins de fer repose non-seulement sur la garantie de l’état, mais encore et avant tout sur la valeur même de l’entreprise, sur son exploitation, sur ses produits connus. Ce qui le prouve, c’est que, malgré l’égalité des conditions de garantie, les titres des différentes compagnies ne sont pas cotés à un cours égal ; le prêteur tient compte de la valeur intrinsèque des titres de chaque compagnie, la garantie de l’état ne lui apparaît que comme un surcroît de sécurité. Dès lors, construit par les anciennes compagnies, le troisième réseau coûtera moins cher que s’il était construit par des compagnies nouvelles, et le trésor y gagnera d’avoir à débourser

  1. La Question des chemins de fer et M. Léon Say, par M. J. Lesguillier, député de l’Aisne, ancien sous-secrétaire d’état des travaux publics, Château-Thierry, 1882.