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kilomètres proportionnellement dans les régions des Pyrénées ou des Alpes que dans les départemens du Nord et du Pas-de-Calais ? — D’un autre côté, quand on fait la comparaison entre des pays qui se trouvent dans des conditions à peu près égales de sol, de population, d’activité industrielle, il faut considérer, non pas seulement le chiffre des kilomètres, mais l’organisation des lignes, le système d’après lequel le réseau a été tracé et construit. Il peut arriver, et il arrive, qu’une région soit aussi bien desservie par une seule ligne, concédée, comme en France, sous le régime du monopole, qu’elle le serait par deux lignes, par trois lignes concurrentes, établies comme en Angleterre, sous le régime de la liberté, La statistique, constatant les chiffres bruts, dira nécessairement que la ligne unique représente moins de kilomètres que la ligne double ou triple ; mais si la ligne unique rend autant de services, si elle suffit aux transports, l’économie politique lui attribuera une valeur plus grande quant à l’utilité. En d’autres termes, l’avantage appartient, non pas au pays qui compte le plus grand nombre de kilomètres, mais à celui où le réseau est le mieux organisé. Sous ce rapport, nous ne sommes point arriérés, comme on le prétend pour les besoins de la cause : la France n’est plus au sixième rang.

Enfin, pour rassurer les timides qu’effraie la dépense de tant de milliards, à laquelle doit s’ajouter chaque année une perte considérable dans les comptes de l’exploitation, les prôneurs du troisième réseau rappellent que la rémunération de cette dépense doit se retrouver dans les bénéfices que procure à la richesse publique et privée, à la propriété foncière, à l’industrie, au commerce, le service des voies ferrées, dans le progrès général des transports, dont profitent les mouvemens de troupes et les communications postales, dans le supplément d’impôts directs ou indirects que perçoit le trésor. Ils ajoutent que les pertes d’exploitation, prévues pendant les premières années, s’atténueront peu à peu et que, sauf de rares exceptions, une ligne de chemins de fer doit avec le temps devenir productive. — Ces raisonnemens ne sont que spécieux. Il y a là une question de mesure dont il est nécessaire de tenir compte. S’il est vrai que toute ligne de chemins de fer apporte à la région qu’elle traverse des avantages qui ne doivent pas être calculés uniquement d’après le chiffre des recettes, s’il est vrai encore que toute ligne s’améliore en vieillissant, cela n’autorise pas à construire des voies ferrées partout à la fois ni à surcharger le présent d’un total exagéré de dépenses qui ne seront productives que dans un avenir très lointain. Elles coûteront bien cher, en capital, intérêts et pertes d’exploitation, la plupart de ces voies ferrées que l’état vient d’entreprendre. Avant de payer, directement ou indirectement, la dépense