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l’emprunt. Il suffit d’énoncer ces chiffres pour montrer à quel point un tel effort est excessif. Il n’y a point de nation, si riche qu’elle soit, point de situation, si prospère qu’elle paraisse, qui puisse supporter une charge aussi lourde.

Il est aisé de déclarer que l’on ne s’arrêtera pas, que la république ne fera point faillite à ses promesses, et que tous les chemins de fer tracés sur le papier des programmes ministériels et des circulaires électorales seront construits. La force des choses aura raison de tous ces beaux discours, et déjà l’on peut observer que les affirmations si précises et si résolues des premiers jours commencent à être singulièrement altérées par les conseils de prudence que la commission du budget, les ministres eux-mêmes ont jugé opportun d’exprimer à plusieurs reprises, lors des récentes discussions. Ce que ne veulent pas avouer les parlementaires, ce qu’ils dissimulent avec plus ou moins d’habileté sous l’euphémisme de leur langage, de simples publicistes, les citoyens et les contribuables soucieux de la situation financière ont toute liberté pour le dire nettement et sans réticence, en démontrant que les imprudences commises n’autorisent point des folies à commettre, que les travaux commencés, dont l’achèvement est nécessaire, excèdent déjà les ressources disponibles et (puisque le mot de faillite a été prononcé), que la continuation du mode suivi depuis deux ans amènerait forcément et à bref délai la faillite même du budget.

Pour justifier l’entraînement avec lequel le gouvernement et les chambres ont adopté cet énorme développement de nos voies ferrées, on allègue que nous sommes en arrière des autres pays et que la statistique assigne à la France le sixième rang, après la Belgique, l’Angleterre, la Suisse, l’Allemagne et les États-Unis, si l’on considère la proportion qui existe entre le réseau des chemins de fer et la superficie du territoire ou le chiffre de la population. Cet argument a été maintes fois réfuté. Le chiffre brut des kilomètres, tel que le fournit la statistique, importe peu : ce qui importe, c’est que le réseau, quel qu’il soit, rende le plus de services au pays. Il faut tenir compte de la configuration du territoire plutôt que de son étendue, et de la densité de la population plutôt que de son chiffre total. Il est évident que la Belgique, par exemple, avec son sol plat et sa population très dense, avec sa richesse agricole et sa production industrielle renfermées dans un étroit espace, comporte et peut entretenir utilement un réseau très serré de chemins de fer. Si, pour l’amour de la statistique comparée, l’on s’avisait d’établir en France ou ailleurs un nombre proportionnel de kilomètres, égal à celui de la Belgique, ce serait un non-sens économique. En France même, est-ce que l’on s’aviserait de construire autant de