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vienne à succomber, cent graines nouvelles sont là, prêtes à prendre sa place au soleil et à la terre. Parmi ces graines, c’est la plus vivace qui l’emportera ; c’est celle qui pourra le mieux étouffer ses rivales ; c’est celle qui résistera le mieux au froid, à la chaleur, à l’humidité, à la sécheresse, aux parasites, aux rongeurs, aux ennemis de toute sorte, concurrens dans la lutte pour l’existence, qui vont assaillir les arbres dans les forêts.

Dans l’air, dans l’océan, dans les forêts, dans les montagnes, dans les plaines, partout, tous les êtres, terrestres ou marins, végétaux ou animaux, nous donnent le spectacle d’une lutte mutuelle qui s’exerce incessamment, sans trêve et sans merci. Les forts anéantissent les faibles ; les gros mangent les petits. Un éléphant, en marchant, écrase à chaque pas des milliers de fourmis ; un carnassier, pour grandir, dévore chaque jour quantité de proies vivantes. Les loups mangent les brebis : les brebis paissent l’herbe des champs : les parasites infestent l’organisme des loups, des brebis et des herbes. Et tous, loups, brebis, herbes, parasites, ne peuvent trouver leur vie et leur salut que dans la mort d’autres êtres. Si le loup n’égorgeait pas des brebis, il mourrait de faim. Si la brebis ne paissait pas l’herbe, elle manquerait de nourriture. Si les parasites n’entraient pas dans l’estomac du loup ou de la brebis, ils ne se développeraient pas. Tous ces êtres tendent à vivre ; mais ils ne vivent qu’à la condition de faire périr d’autres êtres. Le salut des uns est la mort des autres. Voilà pourquoi la vie est une lutte perpétuelle.

Parfois les poètes, errant le soir sur les bords de la mer, au milieu du calme majestueux de la nature, quand les flots viennent doucement s’éteindre sur le rivage, songent à l’harmonie universelle et rêvent je ne sais quelle paternelle Providence qui veille sur ses enfans. Mais qu’ils prêtent l’oreille, et ils n’entendront ni hymne de reconnaissance, ni chant d’allégresse. Ce n’est pas un cri de joie qui, des flots azurés ou des profondes forêts, s’élève vers le ciel ; c’est un cri de détresse et de douleur. C’est le cri des vaincus. Luttes fratricides, combats acharnés, proies dévorées vivantes, carnages, massacres, douleurs, maladies, famines, morts sauvages, voilà ce qu’on verrait si le regard pouvait pénétrer ce que cachent dans leur sein l’impassible océan ou la tranquille forêt. Chaque. pierre abrite un essaim d’êtres vivans. Chaque pierre abrite aussi des luttes implacables. Tous les enfans de la nature s’acharnent l’un sur l’autre. Des milliers de souffrances obscures se dissimulent sous l’herbe des prairies ou sous la roche du rivage.

De même, si quelque passant chemine dans une grande cité, alors que tout paraît endormi, et que les hautes maisons ne semblent abriter que le sommeil, il pourra croire que ces masses de pierre