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missions. Si nous n’y prenons garde, bientôt elles domineront par le nombre et par l’influence sur les pays où s’exerce notre protectorat. Qu’on ait eu tort ou raison de supprimer en France les congrégations, ce n’est pas une question à discuter ici. Mais, en admettant qu’elles fussent dangereuses à l’intérieur et qu’on ait bien fait de les expulser, il serait sage, il me semble, de chercher un moyen de les conserver, qu’on me passe le mot, comme article d’exportation. Or ce moyen n’est peut-être pas difficile à trouver. On se plaignait beaucoup autrefois que l’exemption du service militaire fût accordée au clergé régulier, ce qui était assurément contraire à la lettre et à l’esprit de la loi. Le clergé séculier jouissait de cette exemption parce qu’il remplissait un service public, service dont le concordat avait reconnu l’utilité. Du moment que le culte était une fonction d’état, comme l’enseignement, il avait droit aux mêmes privilèges. Mais les moines n’étant en rien des fonctionnaires, des agens du gouvernement, pourquoi les laissait-on à l’abri des charges militaires qui doivent peser également sur tout le monde, sauf sur ceux qu’un intérêt supérieur de l’état en dispense ? Il résultait de cet abus que les couvens se remplissaient de jeunes gens parfaitement propres à porter les armes. C’était aux dépens de la patrie qu’ils travaillaient à gagner le ciel. N’étant employés officiellement ni au culte, ni à l’enseignement, il n’y avait aucune raison politique pour leur accorder une dispense qu’une tolérance fâcheuse avait seule établie. Si on se fût borné à faire rentrer les congrégations dans le droit commun, on n’eût porté atteinte à aucune liberté et, dans la pratiqué, on eût obtenu sans violence, sans arbitraire, des résultats supérieurs à ceux qu’on a atteints.

Il serait temps de revenir à cette solution modérée et libérale de la question des congrégations. Seulement, si tout ce que nous avons dit dans ce travail est exact, on comprendrait fort bien que les missions étrangères fussent assimilées au clergé séculier. Le service religieux au dedans peut être un objet d’utilité publique, mais la propagande civilisatrice et française au dehors ne l’est pas moins. Il serait donc tout à fait juste, en supposant, comme nous l’espérons, que la nouvelle loi militaire laisse subsister les exemptions et ne mutile pas l’université et le clergé sans profit pour l’armée, d’en accorder également aux curés ou vicaires des paroisses et aux missionnaires qui prendraient l’engagement de passer un certain nombre d’années à l’étranger. De cette manière, on ne saurait se vouer à la vie religieuse sans payer sa dette à la patrie. Les vocations sont nombreuses parmi nous, si nombreuses qu’on a cru de voir couper court aux envahissemens des congrégations : mais on a eu tort d’arrêter un flot qui pouvait être fécondant ; il eût mieux valu le détourner de notre