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français. On l’ignore en France. On croit trop aisément que les catholiques de Syrie se bornent aux Maronites ; c’est une grave erreur ; les Maronites forment la majorité, mais à côté d’eux existent des minorités dont l’intelligence, l’activité et l’attachement à notre pays mériteraient plus d’attention. A chaque communauté schismatique correspond une communauté catholique ; il y a des syriaques-unis, des chaldéens-unis, des jacobites-unis, des coptes-unis ; mais les plus nombreux et les plus importans à tous égards sont les grecs-unis ou melchites. Les grecs-unis habitent surtout les côtes, les villes de commerce ; ils ont fait d’Alep un grand centre commercial, qui rayonne jusqu’au Soudan ; ils forment à Alexandrie une colonie importante et très riche dont les affaires s’étendent dans toute l’Egypte. Longtemps oubliés par nous, le gouvernement français leur a enfin accordé quelques bourses pour leur collège de Beyrouth, un des établissemens scolaires de cette ville où l’on enseigne le mieux notre langue, et Mgr Lavigerie, dont le zèle embrasse l’Orient aussi bien que l’Afrique occidentale, a créé pour eux, à Jérusalem, un excellent séminaire où leurs prêtres recevront une instruction européenne. Il n’en a pas fallu davantage pour que le clergé grec catholique s’éprît de la France. Leur patriarche, un esprit libéral qui a combattu l’infaillibilité au concile, homme d’une rare initiative, qui a fondé pour sa communauté, avec les plus faibles ressources, les meilleurs établissemens scolaires, ne parle de notre pays qu’avec un enthousiasme reconnaissant. Quoi qu’on en pense à Paris, de pareils sentimens sont pour nous d’une grande utilité. Tandis que tout l’Orient nous échappe par l’effet de notre politique de défaillance, c’est grâce à eux qu’il reste encore en Syrie, suivant une expression de M. Bersot, « un lambeau de France qui se porte bien. »

Quelques Syriens, séduits par le mirage d’idées libérales insuffisamment mûries, protestent contre la protection que nous accordons aux clergés indigènes en Syrie et principalement dans le Liban. Ils voudraient séculariser la société orientale ; ils signalent avec indignation les abus de la théocratie ; ils accusent les moines et les évêques d’esprit d’accaparement et de domination ; détruire leur influence serait à leur avis un avantage et un progrès. L’homme qui les conduit dans cette campagne n’est autre que le gouverneur actuel du Liban, Rustem-Pacha, lequel s’est donné pour mission d’abattre à la fois le clergé catholique et la France dans la montagne. A son avis, le rôle prépondérant de cette dernière est injustifiable ; car le règlement organique du Liban étant l’œuvre commune de l’Europe, il n’y a pas de raison pour qu’une puissance particulière en surveille directement l’application. L’expédition de