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« Un long séjour au milieu de contrées peu connues, une connaissance complète de la langue, leur donnent des facilités exceptionnelles pour les recherches de toute nature. Ils ne savent point en profiter, et l’on s’étonne, non sans raison, qu’il y ait encore tant de questions obscures, tant de problèmes historiques, scientifiques et économiques à résoudre dans un pays où vivent depuis si longtemps des Européens. L’intérêt provoqué par les missions va donc s’affaiblissant, en raison même du peu de fruit qu’elles rapportent à la science et à la civilisation. Il faut assurément que cet état de choses se transforme, il faut que l’église marche et devienne un instrument de progrès si elle veut reconquérir en Chine le rang élevé jadis occupé par elle. Il le faut, car la protection de la France, qui s’étend généreusement non-seulement sur les missionnaires français, mais encore sur ceux de nationalité belge, espagnole, italienne, etc., vaut bien la peine qu’on fasse quelques efforts pour la justifier et la conserver. Le meilleur moyen, à notre avis, de stimuler le zèle des missionnaires, le seul capable de donner à leurs travaux l’ensemble et l’unité qui leur manquent, serait de créer à Pékin et à Shang-Haï, par exemple, aux frais communs de toutes les missions, deux collèges où l’on réunirait, comme dans un vaste laboratoire intellectuel, tous les moyens d’études aujourd’hui connus. Après deux ou trois ans passés dans l’intérieur de la Chine pour se familiariser avec la langue, les jeunes missionnaires reviendraient dans ces grands établissemens d’instruction supérieure pour compléter leur éducation et approfondir plus particulièrement telle ou telle branche de science, à laquelle les prédisposeraient leurs études ou leur goût. Le. clergé catholique indigène y enverrait à son tour ses sujets d’élite. Les prêtres qui auraient des travaux historiques ou philologiques à rédiger, des expériences astronomiques, physiques ou chimiques à poursuivre y trouveraient les livres et les instrumens nécessaires, se retremperaient au contact de la science, européenne et s’entendraient sur les moyens de la répandre. Dans ces collèges, on pourrait entreprendre, — et l’on serait dans des conditions excellentes pour les perfectionner, — ces traductions en chinois vulgaire et en caractères latins qui nous semblent le moyen le plus efficace de détruire l’hostile prépondérance des lettrés en rapprochant les deux civilisations[1]. »

On trouverait peut-être qu’il n’est pas digne de la république de s’occuper de l’organisation des missions. Certains radicaux soutiennent qu’en admettant même leurs services, un gouvernement éclairé, libéral, libre penseur, ne saurait sans manquer à ses devoirs travailler à répandre parmi des populations quelconques les erreurs

  1. De Paris au Thibet, pages 397, 398, 399, 400, 401.