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chaque jour plus civilisatrice. Elles entreraient sans doute volontiers dans cette voie si elles s’y sentaient encouragées et soutenues, et c’est ici que doit commencer, à notre sens, le rôle du gouvernement français[1]. » Par malheur, en déclarant la guerre aux congrégations, le gouvernement français s’interdit toute action sur elles. Il en ferait presque ce qu’il voudrait s’il les traitait avec douceur. « Les services des missions sont appelés à grandir encore, ajoute Francis Garnier, si nos missionnaires comprennent enfin que c’est surtout par une incontestable supériorité scientifique, par l’exposé des résultats pratiques que la science procure qu’ils domineront les populations chinoises. Ils arrivent presque tous aujourd’hui sur le terrain de leurs travaux armés d’un grand savoir théologique, mais ignorant l’histoire, les mœurs, les croyances, la géographie même des peuples qu’ils vont évangéliser. Grâce au malheureux système d’études qui prévaut en France, le plus grand nombre d’entre eux est à peine plus avancé en physique, en chimie, en cosmographie, en hygiène que les Chinois eux-mêmes. Il est difficile de se placer dans une condition plus défavorable pour entreprendre une tâche plus ardue. Leur isolement est absolu ; les livres leur manquent. La seule publication universellement répandue parmi eux, les Annales de la propagation de la foi, ne raconte que leurs travaux. C’est à peine si quelque lettre d’Europe, reçue de loin en loin, vient réveiller un instant le souvenir du monde occidental, et jeter sa note patriotique aux oreilles des pauvres exilés. Au bout de quinze ou vingt ans de mission, leur naturalisation est complète ; les mœurs, les préjugés, la science chinoise même, si étrange qu’elle soit, sont acceptés par eux, et le Céleste-Empire compte quelques citoyens de plus. Il est triste de voir se stériliser ainsi une abnégation et un zèle ardent, qui, plus éclairés, pourraient prétendre à de plus grands résultats. C’est par là que s’explique la lenteur extrême des progrès réalisés et que se justifie presque le dédain que les classes savantes de la Chine professent pour des étrangers obscurs. Une pareille situation mérite d’attirer non-seulement l’attention des directeurs de l’œuvre, mais encore celle du gouvernement français. Le séminaire des missions étrangères, qui compte maintenant ses élèves par centaines, ne devrait-il pas faire entrer dans son programme une grande partie des sciences modernes, et cette étude ne donnerait-elle pas plus tard un immense avantage à ceux qui partiraient pour les pays infidèles ? Des livres, des publications spéciales, des instrumens d’astronomie et de géodésie, ne devraient-ils pas être amis à la portée de ces ouvriers dévoués, dont la bonne volonté n’a point de limites et dont l’unique distraction est le travail ? »

  1. De Paris au Thibet, p. 388.