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expliquent comment la France joue encore un si grand rôle dans ces lointaines régions, et comment son influence y balance celle de toutes les autres nations maritimes[1]. » Et si cela n’était point exact, d’où viendrait, ainsi que l’affirme Francis Garnier, que le nom de notre pays fût « le plus familier aux mandarins chinois et aux populations chrétiennes, du Céleste-Empire ? » Assurément, ce n’est point notre commerce, ce ne sont point nos voyageurs, qui nous procurent cette supériorité ! Et dans la Méditerranée, comment se fait-il que l’influence française soit encore si grande, que notre langue domine encore toutes les langues ? Dira-t-on que c’est un effet de l’excellente politique qui s’est si glorieusement manifestée dans les affaires d’église ? Dira-t-on que c’est un produit laïque quelconque ? Nous n’avons rien épargné pour ruiner notre prestige dans l’Orient méditerranéen ; notre diplomatie y a commis les fautes les plus graves ; notre commerce s’y est laissé dépasser par d’autres. Et pourtant nous y sommes toujours regardés comme la grande nation européenne. Pourquoi, sinon parce que des moines et des congrégations continuent à y prendre les enfans en bas âge pour leur apprendre à murmurer le nom de la France et celui de Dieu ?

Ah ! je dois avouer que, depuis quelques années, ces moines et ces congrégations ont eu des momens difficiles à passer, des momens pendant lesquels il a bien fallu qu’ils ne fissent pas étalage de sentimens français et qu’ils se renfermassent, au moins en apparence, dans leur mission religieuse. C’est de France qu’on les signalait comme des ennemis de la patrie, comme des perturbateurs de la paix publique, comme des hommes dangereux. Je ne juge pas la politique des décrets, j’en explique les effets au dehors. Il faut avoir vu quel déchaînement de haines, de colères, que le tourbillon d’accusations furieuses ont fondu alors sur nos missions à l’étranger ! En Syrie, par exemple, tous nos adversaires, musulmans, chrétiens, schismtatiques, protestans, catholiques, cherchant à nous ravir le protectorat, se sont rués contre les ordres français. Une presse arabe. nombreuse, ardente, a employé pour les flétrir toutes les ressources d’une langue auprès de laquelle toute autre est stérile en outrages. Elle a fait plus ; traduisant chaque jour les articles des journaux radicaux de Paris, elle les a jetés à la face des religieux français, en leur disant : — Vous le voyez bien, ce sont vos compatriotes eux-mêmes qui vous accusent d’être de mauvais citoyens ! — Que pouvaient répondre les missionnaires ainsi conspués ? Il leur est arrivé parfois de se défendre en traduisant à leur tour les articles des journaux antirépublicains de Paris. Cependant ils ont

  1. Entre deux campagnes, notes d’un marin, par le contre-amiral Aube.