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protectorat catholique ; nier ceux qu’elles nous ont rendus dans le passé, c’est faire preuve de la plus grande ignorance ou de la plus insigne mauvaise foi. Il n’y a pas un homme au courant de l’histoire de l’Orient qui ne reconnaisse que le magnifique développement d’influence française, grâce auquel, pendant des siècles, presque tout le commerce de la Méditerranée a été concentré entre nos mains, était dû en grande partie au protectorat que nous exercions sur les missions religieuses de Turquie, et qui, de ces missions, s’était étendu à toutes les populations catholiques de l’empire ottoman. Si des colonies françaises ont pu naître, grandir et atteindre un merveilleux degré de prospérité sur les côtes de l’Asie-Mineure, de la Syrie et de l’Egypte, c’est qu’elles vivaient non-seulement à l’abri des capitulations qui les préservaient des abus du régime turc, mais encore sous une protection religieuse qui leur permettait de s’insinuer peu à peu parmi les indigènes et d’entrer en relations avec eux. Tous les rajas se groupaient autour de ces colonies devenues pour eux des espèces de citadelles d’où ils pouvaient braver l’injustice des Turcs. C’est là qu’ils allaient apprendre notre langue dans les écoles des missions catholiques ; c’est là que les hôpitaux de ces mêmes missions leur offraient un asile dans leur misère, un secours dans leurs maladies ; c’est là enfin qu’ils s’initiaient à nos mœurs, à nos méthodes de travail, à nos industries, à nos arts. Dès lors, ils devenaient entre les mains des colons français d’admirables instrumens ; se sentant protégés comme catholiques, ils bravaient plus courageusement les vexations qui les menaçaient comme sujets de la Turquie ; ils entreprenaient un commerce actif, ils étaient de précieux agens d’échange ; plus intelligens, plus habiles, plus instruits que les musulmans, ils attiraient à eux les affaires et se trouvaient être les intermédiaires obligés entre ceux-ci et les Français. Et ce n’est pas seulement par le commerce qu’ils s’élevaient peu à peu, qu’ils reprenaient la situation que la conquête leur avait fait perdre. Livrés sans défense à l’odieuse tyrannie musulmane, ils se seraient convertis à l’islamisme ou ils auraient misérablement péri. Le protectorat catholique de la France a conservé en eux le sentiment de l’honneur et l’amour de l’indépendance. C’est grâce à son action séculaire que, de toutes parts aujourd’hui, sous les musulmans qui disparaissent, se dressent des populations chrétiennes qu’une trop longue et trop odieuse tyrannie n’a point détruites, et qui bientôt seront mûres pour la liberté.

Il faut bien reconnaître l’heureuse influence du protectorat catholique en Orient ; mais on remarque qu’il y avait là un grand nombre de chrétiens, qu’en leur prêchant l’évangile on n’a blessé ni leurs mœurs, ni leurs croyances, en même temps qu’on n’a point choqué les Turcs, trop persuadés de la supériorité de leur religion